PALEOBIOS ,13 / 2004 / Lyon-France ISSN 0294-12/ La spondylose, entité médicale et entité paléopathologique

 

La spondylolyse, entité médicale et entité paléopathologique

Ludovic Debono (1)*, Bertrand Mafart (2)

 

1 : Département de Biologie Humaine, Laboratoire d’Anthropologie Anatomique et de Paléopathologie UCB Lyon 1, 8 avenue Rockefeller 69373 Lyon CEDEX 08 France.

2 : Département de Préhistoire, Muséum National d’Histoire Naturelle, UMR 5198, Antenne de l’Institut de Paléontologie Humaine, Paris.

* : debono@club-internet.fr

Résumé:

La spondylolyse est défini par la présence d’une solution de continuité entre l’arc postérieur et le corps d’une vertèbre, le plus souvent la cinquième lombaire. L’auteur rapporte cinq cas retrouvés dans la nécropole historique de Notre-Dame-du-Bourg (Digne, Alpes-de-Haute-Provence). La spondylolyse est actuellement intégrée dans le cadre nosologique des fractures de fatigue. Le déterminisme de sa survenue chez un individu est mal connu et associe des facteurs génétiques et biomécaniques. Sa  prévalence est très variable selon les populations. Les Inuits du début du 20° siècle présentaient les taux les plus élevés connus (environ 30%). Dans les populations européennes historiques et modernes, la  prévalence est homogène, entre 6 à 7%. Un taux de prévalence de la spondylolyse inférieur ou égal à 10% dans un échantillon archéologique européen est donc sans signification particulière. Une prévalence de plus de 10% sur un échantillon numériquement significatif   doit faire discuter l’éventualité de contraintes biomécaniques lombo-sacrée importantes pour les individus atteints et confronter cette hypothèse aux données socio-archéologiques. Aucune interprétation biomécanique ne peut être proposée pour un cas isolé.

Mots-clés : Spondylolyse, paléopathologie, vertèbres lombaires, fracture de fatigue, marqueurs d’activité

 

Abstract

Spondylolysis was found in 5 of 102 spines from the Notre-Dame-du-Bourg necropolis dating from the fourth to seventeenth century AD in Provence (Digne, France).The spondylolyses is a failure in ossification of the laminae between the superior and inferior articular process of a lumbar vertebrae. It most occurs in the fifth lumbar vertebrae and is actually known as a fatigue fracture. It exact medical signification is hardly to be known, some genetical and biomechanical factors may contribute. Its incidence varies between populations. Inuits from the beginning of the 20th century had very high incidence (sometimes more than 30%). In historic and modern European populations incidence is almost always near 6%. We conclude that in a European archaeological sample, an incidence of spondylolyses less or equal to 10% has no particular signification. A rate of incidence higher than 10% on a significant size sample may means that those peoples were exposed to important biomechanical stress. This hypothesis must be compare with socio-archaeological knowledge. No biomechanical interpretation must be done for one isolate case.

 

Key-words : Spondylolysis, Paleopathology, Lumbar Vertebrae, Stress Fracture, Stress Markers

1 - INTRODUCTION

Depuis sa première description en 1858 (Lambl 1858, cité in Merbs 1996a), la spondylolyse a fait l’objet de nombreux travaux cliniques et plus récemment paléopathologiques.

La spondylolyse (du grec spondylos , vertèbre et lysis , destruction) est définie par la présence d’une solution de continuité entre l’arche neurale et le corps vertébral. La séparation est localisée le plus souvent au niveau de l’isthme séparant les processus articulaires supérieur et inférieur (pars interarticularis ), en traversant les deux facettes articulaires. La localisation préférentielle est la cinquième vertèbre lombaire (L5), plus rarement la quatrième lombaire (L4) et la première vertèbre sacrée (S1) : respectivement 51,4% (L5), 22,2% (L4) et 8,3% (S1) pour Merbs (1996) chez des chasseurs-pêcheurs arctiques et 91,2% (L5), 5,3% (L4) pour Moreton (1966) chez des américains contemporains. Les localisations sur d’autres vertèbres sont exceptionnelles (Moreton 1966, Merbs 1989 et 1996b). L’aspect le plus commun est une solution de continuité bilatérale et totale, séparant l’arche neurale du reste de la vertèbre (Merbs 1995 et 2002, Moreton 1966, Waldron 1992). Les études épidémiologiques montrent une prévalence   plus élevée chez les hommes, avec un sex-ratio d’environ 2:1 (Roche et Rowe 1951, Merbs 1989). Absente à la naissance (Rowe et Roche 1953), elle est rare chez l’enfant (Fredrikson et al 1984, Beutler et al 2003) et augmente progressivement de fréquence jusque vers 30-45 ans (Stewart 1953, Bridges 1989, Merbs 1996a). La fréquence plus faible chez les individus plus âgés pourrait résulter d’un phénomène d’ossification secondaire de la spondylolyse (Merbs 1996a, Beutler et al 2003).

Le spondylolisthésis (du grec spondylos , vertèbre et   olistein , glisser) est une affection proche qu’il ne faut cependant pas confondre avec la spondylolyse. Il est défini par le glissement vers l’avant d’un corps vertébral par rapport au rachis sous-jacent. Ce glissement est souvent lié à une spondylolyse, mais il existe aussi   des « spondylolisthésis dégénératif à arche neurale intacte » (Duquesnoy 1999, Merbs 1996a). Inversement, une lyse isthmique n’est pas forcément associée à un spondylolisthésis (Moreton 1966).

Au plan médical, 10 % des spondylolisthésis par lyse isthmique seraient symptomatiques et responsables alors de lombalgies ou de lombosciatalgies (Duquesnoy 1999)   mais la réalité de ce lien a été récemment remise en question (Beutler et al 2003).

Les approches clinique et paléopathologique ne sont pas superposables. Un clinicien confronté à des lombalgies chez un patient recherche systématiquement un décalage vers l’avant de L5 sur S1 sur un cliché radiologique de profil. Une spondylolyse en l’absence de spondylolisthésis associée est difficile à diagnostiquer sur une radiographie simple et d’un intérêt clinique moindre. Inversement, Le paléopathologiste dépiste facilement la spondylolyse sur l’os sec mais il est très difficile d’affirmer l’existence d’un spondylolisthésis. Il ne peut être évoqué que si la présence d’ostéophytes ou de lésions dégénératives permet de positionner la vertèbre lombaire sur le sacrum (ou sur la vertèbre sous-jacente). De tels éléments étant rarement retrouvés, il est donc rare de pouvoir   statuer sur la présence ou non d’un spondylolisthésis (Merbs 2001).

La spondylolyse est une spécificité de la locomotion humaine bipède et ne se rencontre pas chez les individus n’ayant jamais marché (Rosenberg 1981) ni chez les autres primates (Wiltse 1962, Nakaï 2001). La courbure lombo-sacré, spécifiquement humaine explique la tendance anatomique au glissement de L5 sur S1 (Bridges 1989, Merbs 1989 et 1996a).

Les controverses sur l’étiologie de cette affection furent longues et nombreuses. Les tenants d’une hypothèse congénitale s’opposèrent à ceux d’une origine traumatique ou microtraumatique (Newell 1995). L’hypothèse d’une fracture de fatigue, basée   sur des travaux de médecine sportive, s’est imposé depuis Wiltse (1975) et Farfan (1976). Ce mécanisme physiopathologique explique vraisemblablement la plupart des atteintes (Merbs 1996a). Les principaux arguments épidémiologiques sont   l’importante prévalence chez certains sportifs de haut niveau, en particulier les gymnastes (Hulkko et Orawa 2001, Larsen 1997, Merbs 1996a) et chez certaines populations à la sollicitation vertébrale particulière comme les chasseurs arctiques (Stewart 1931 et 1953, Merbs 1989). L’hyperextension, l’hyperflexion et la rotation du rachis seraient particulièrement en cause dans la survenue de spondylolyse (Farfan 1976, Merbs 1996a, Arriaza 1997, Larsen 1997).

Il existe aussi d’autres facteurs favorisants, mais il faut insister sur leur rareté (Merbs 1996a, Arriaza 1997) :

  • des prédispositions génétiques avec l’existence de cas familiaux avérés (Wiltse 1962) et une grande disparité selon l’origine ethnique (Stewart 1931, Wiltse 1962)
  • des dysplasies locales comme l’hyperlordose (Stewart 1953), la scoliose (Larsen 1997) ou le spina bifida occulta (Fredickson 1984, Waldron 1993).
  • des causes beaucoup plus rares comme des traumatismes aigu, des causes infectieuses (tuberculose) ou tumorales (Merbs 1996a).

Les spondylolyses d’origine congénitales ont souvent une localisation inhabituelle (autre que L5 et L4) ou une morphologie atypique (séparation en dehors de la pars interarticularis, ou unilatérale) (Merbs 1996a).

Même en tenant compte d’un facteur congénital prédisposant, la spondylolyse est donc une fracture de fatigue. Il est alors tentant d’y voir un marqueur osseux d’activité (Stewart 1953, Merbs 1989, Palfi 1992, Arriaza 1997).

Par sa facilité diagnostique sur os sec, la présence de spondylolyse a été depuis longtemps décomptée sur des populations anciennes (Willis 1931, Stewart 1931) avec une prévalence très variable. L’étude paléoanthropologique d’une importante nécropole historique provençale, nous a donné l’opportunité d’analyser la spondylolyse dans cette population. Cette étude avait pour but :

  1. de comparer les incidences de la spondylolyse dans différentes populations,
  2. d’étudier les liens éventuels entre l’affection et l’activité,
  3. de déterminer quelles conclusions peuvent être tirées de la découverte d’un cas isolé de spondylolyse ou de sa prévalence dans une population.

 

2 - MATERIEL ET METHODE

Les vertèbres étudiées proviennent de la nécropole historique de Notre-Dame-du-Bourg à Digne (Alpes de Haute Provence – France, 4e – 17e siècle) fouillée par Gabrielle Démians d’Archimbaud (1989). La collection est en cours d’étude anthropologique sous la direction de Bertrand Mafart. Un total de 1223 squelettes d’adultes des états de conservation très variables ont été retirés de 1011 tombes.

L’étude a porté sur les squelettes d’adultes dont les quatrième et cinquième vertèbres lombaires étaient en bon état de conservation soit un échantillon de 102 individus. Compte tenu de cet effectif global relativement faible au sein de cette nécropole répartie sur13 siècles, lié à la mauvaise conservation générale des vertèbres dans ce site, il n’a pas été réalisé d’analyse diachronique, les effectifs par périodes archéologiques étant alors trop réduits pour une étude statistique.  

Les déterminations de sexe ont été effectuées par l’étude de l’os coxal suivant la méthode de Bruzek (2002). Les estimations d’âge au décès ont été basées sur l’étude de la surface auriculaire de l’os coxal suivant le calcul bayesien décrit par Schmidt et Broqua (1999). L’âge estimé est réparti en trois groupes d’âge (jeune de moins de 30 ans, mature de 30 à 50 ans et âgé de plus de 50ans). Quand cette estimation   n’était pas possible, nous avons séparé l’échantillon en 2 groupes d’âge plus larges : plus de 30 ans et moins de 50 ans (Debono, et al 2004).

Les spondylolyses ont été recherchées par un examen systématique des vertèbres dont les parois du canal rachidien étaient conservées mais aussi par l’examen des arcs postérieurs isolés. Les spondylolyses ont été différentiées des fracturations post mortem par la mise en évidence d’une obturation osseuse de la solution de continuité.

Sur les cas de spondylolyses retrouvés, un spondylolisthésis a été recherché par la mise en articulation des vertèbres conservées en se basant d’une part sur les articulations interapophysaires postérieures, d’autre part sur les éventuelles lésions arthrosiques en particulier ostéophytiques pouvant engrener les corps vertébraux entre eux, en particulier ceux de L5 avec la première vertèbre sacrée.

Les analyses statistiques ont été réalisés par le test de khi deux quand l’échantillon était de taille suffisante (N>100) et le test exact de Fisher pour les échantillons faibles (N<=100). Nous avons utilisé le taux de significativité conventionnel de 5%.

 

3 - RESULTATS

Sur les 102 individus sélectionnés, 5 cas de spondylolyses ont été retrouvés (prévalence générale de 4,9 %),   toutes bilatérales et complètes (Tableau 1).

Le test exact de Fisher ne retrouve pas de différence significative d’observation de spondylolyse entre les sexes (p=0,37), ni entre les âges de plus ou moins de 50 ans (p=0,41) mais les faibles effectifs considérés ne permettent pas de conclure sur l’épidémiologie de l’affection.

 

Tableau 1 : caractéristiques des 5 cas de spondylolyses retrouvés dans la population historique de Notre-Dame-du-Bourg

Individu

Niveau de la spondylolyse

Sexe

Age

Notes

1

L4

Indéterminé

Plus de 50 ans

 

2

L5

Masculin

15 à 30 ans

 

3

L5

Indéterminé

Moins de 50 ans

Malformation de l’arche postérieure

Spina bifida occulta incomplet

4

L5

Indéterminé

Indéterminé

 

5

L4

Masculin

Moins de 50 ans

Sacralisation de L5

Spina bifida occulta incomplet

 

Description des spondylolyses

 

Individu n°1 (782) 

Sexe indéterminé, âge estimé au décès de plus de 50 ans.

Seul le massif postérieur des vertèbres lombaires est conservé. Spondylolyse de L4 par séparation complète au niveau de la pars articularis (figure 1). La destruction des corps vertébraux ne permet pas d’argumenter l’existence éventuelle d’un spondylolisthesis associé.

Sacrum très altéré

figure 1 : pièce n° 782

 

figure 2 : pièce n° 1064

Individu n°2 (1064)

Sexe masculin, âge estimé au décès 15 à 30 ans.

Bonne conservation de l’ensemble des vertèbres lombaires mais sacrum altéré.

Spondylolyse de L5 par séparation complète au niveau de la pars articularis (figure 2).

Pas   d’argument en faveur d’un spondylolisthésis associé

 

Individu n°3 (1295)

Sexe indéterminé, âge estimé au décès de moins de 50 ans. Conservation correcte de l’ensemble des vertèbres lombaires. Spondylolyse de L5 par séparation complète au niveau de la pars articularis (figure 3).

L’apophyse épineuse est déviée vers la gauche, provoquant une asymétrie du canal rachidien.

Le sacrum présente un spina bifida occulta incomplet de S1 à S4. Il existe une malformation de l’arche postérieure de S1 avec déviation vers la gauche correspondant à l’asymétrie de l’arche postérieure de L5.

Il existe également une déhiscence de l’arc postérieure de l’atlas.

Pas de spondylolisthésis objectivable

figure 3 : pièce n° 1295

 

figure 4 : pièce n° 1389

Individu n°4 (1389)

Sexe et âge au décès indéterminés

Conservation médiocre de l’ensemble des vertèbres lombaires. Spondylolyse de L5 par séparation complète au niveau de la pars articularis .

Arche postérieure non retrouvée (figure 4).

Pas de signe observable de spondylolisthésis entre L5 et le sacrum.

 

Individu n°5 (1427)

Sexe masculin, âge estimé au décès de moins de 50 ans. Conservation médiocre de l’ensemble des vertèbres lombaires. Spondylolyse de L4 par séparation complète au niveau de la pars articularis . Seule l’arche postérieure est retrouvé, il manque le reste de la vertèbre (figure 5).

Sacralisation complète de L5, avec spina bifida occulta incomplet de L5 à S1 et de S3 à S5

Spondylolisthesis impossible à rechercher en l’absence de corps vertébral de L4.

 

figure 5 : pièce n° 1427

 

 

4 - DISCUSSION

Les 5 cas de spondylolyse de notre étude illustrent plusieurs aspects typiques de l’affection. Toutes sont bilatérales et séparées totalement au niveau de la pars interarticularis. Trois cas sont situés au niveau de L5 et deux sur L4, dont un avec une vertèbre L5 sacralisée. Le cas n° 4 évoque une spondylolyse favorisée ou provoquée par un contexte dysplasique en raison d’une association à un spina bifida occulta du sacrum et une déhiscence de l’arc postérieur de l’atlas, lésions sans caractère pathologique cependant.

La variabilité ethnique de l’affection a été depuis longtemps constatée (Stewart 1931, Wiltse 1962, Merbs 1989). Nous avons comparé la prévalence de la spondylolyse à partir des études paléoanthropologiques réalisées sur différents groupes ethno-historiques (tableau 2). Nous avons ajouté quelques études radiologiques récentes dont les effectifs importants peuvent servir de référence. Nous n’avons alors choisi que les études de prévalence dont le recrutement n’était pas biaisé par une sélection rhumatologique de l’échantillon pour lombalgie.. Plusieurs problèmes méthodologiques existent cependant. Il s’agit toujours d’échantillons effectifs sont souvent modestes et non de populations. La variabilité inter- et intra-observateur est probablement négligeable pour cette affection anatomiquement évidente sauf pour les formes unilatérales. Les auteurs divergent cependant dans leurs modes de décompte. Nous avons ainsi rassemblé les formes bilatérales et unilatérales car elles sont souvent comptées ensembles surtout par les auteurs anciens. Pour la même raison, dans le cas de rachis lombaires à spondylolyses multiples, nous avons décompté le nombre de vertèbres atteintes et non les sujets porteurs. L’effectif des échantillons aussi est sujet à des biais de calcul : il peut s’agir, selon les études,  du nombre minimum d’individu (NMI) ou du nombre de L5 retrouvées. Dans ce dernier cas, il peut y avoir sous-estimation des cas de spondylolyses car on ne prend pas en compte les autres localisations. Nous n’avons retenu que des effectifs d’individus adultes afin donner une meilleure cohérence à l’ensemble. Nous n’avons pas comparé les âges des individus car les tranches d’âge varient selon les articles et les méthodes utilisées pour l’estimation de l’âge au décès ne permettent pas une comparaison fiable.


Tableau 2 : regroupements des taux de prévalence de la spondylolyse observés dans 58 échantillons regroupés par grands ensembles ethno-historiques.

Populations

Nombre d'échantillons étudiés

Hommes

Femmes

Total

Chasseurs-pêcheurs arctiques

19

347 / 1053 (32.95%)

295 / 1081 (27.29%)

666 / 2173 (30.65%)

Autochtones américains

7

20 / 147 (13.61%)

26 / 143 (18.18%)

71 / 997 (7.12%)

Pacifique

2

14 / 137 (10.22%)

4 / 90 (4.44%)

18 / 271 (6.64%)

Asiatiques

3

5 / 84 (5.95%)

2 / 41 (4.88%)

24 / 287 (8.36%)

Néolithique Moyen-orient

1

NR

NR

2 / 92 (2.17%)

Néolithique Europe

1

NR

NR

15 / 101 (14.85%)

Européens historiques

17

92 / 1739 (5.29%)

90 / 1318 (6.83%)

271 / 4935 (5.49%)

Caucasiens hors Europe (os secs)

2

128 / 2030 (6.31%)

10 / 383 (2.61%)

138 / 2413 (5.72%)

Caucasiens hors Europe (radiographies)

3

2392 / 33850 (7.07%)

0

2483 / 35930 (6.91%)

Africains sub-Sahara

1

9 / 256 (3.52%)

3 / 116 (2.59%)

12 / 372 (3.23%)

Afro-américains

2

39 / 1339 (2.91%)

6 / 561 (1.07%)

50 / 1984 (2.52%)

 

    a) Le  Groupe des chasseurs-pêcheurs arctiques des îles Kodiak et Aleutiennes, d’Alaska, du Nord-Canada et du Groenland, du 1er siècle ap J.-C. au 20e siècle regroupe les données des publications de Stewart (1931, 1953), Lester et Shapiro (1968), Simper (1986), Saunders (1978), Gunness-Hey (1982), Wood et Ossenberg (1994), Merbs (2002) sur os secs et l’étude radiologique de Kettelkamp et Wright (1971). C’est dans ce groupe que la prévalence est la plus élevée, variant selon les échantillons de 16% pour des Yupik du Sud-Yukon (Stewart 1953) à 61% chez un groupe de groenlandais du 18e siècle (Simper 1986). Les populations les plus septentrionales semblent les plus atteintes (Stewart 1953, Merbs 2002). Sur 18 échantillons statistiquement analysables, 13 ne présentent pas de différence significative entre les sexes. Trois échantillons présentent une atteinte préférentiellement masculine : Kamarvik et Silumiut (Merbs 2002) et Yupik des îles Aleutiennes (Stewart 1953) et deux échantillons (Aleut et Mainland-Sud, Saunders 1978) présentent au contraire une atteinte préférentielle des femmes.

    L’activité physique spécifique de ces populations explique probablement l’important taux de spondylolyse. On peut citer les activités de chasse et de pêche avec des positions assises prolongées et des mouvements fréquents en rotation du buste (kayak) ou encore des positions de travail particulièrement pénibles pour le dos des femmes (Stewart 1953, Merbs 2002). Dans l’étude radiologique contemporaine, Kettelkamp et Wright (1971) retrouve encore des taux élevés (28,1% sur 91 individus). Il faut cependant rester prudent sur une explication physiopathologique trop simplement mécaniste (Merbs 2002).  La multiplicité des groupes ethniques semble exclure une origine génétique comme cela avait été d’abord proposé (Stewart 1953), mais il pourrait aussi être évoqué d’autres facteurs environnementaux.

    b) Le groupe des populations autochtones américaines  est hétérogène puisqu’il comprend des populations agricoles, des pêcheurs et des chasseurs allant de 2000 avant J.C. à nos jours (Congdon 1932, Morse 1969, Saunders 1978, Bridges 1989, Arriaza 1997, Merbs 2001). Les valeurs des taux sont également très variables, de 2,04% (indiens Pueblo, Merbs 2001) à 31,25% (indiens de l’Illinois, Morse 1969) mais certains taux ont été calculés à partir d’effectifs faibles. La spondylolyse est statistiquement plus fréquente chez les hommes Chinchorro du Chili (Arriaza 1995) et chez les femmes Libben de l’Ohio (Saunders 1978). Deux autres échantillons ne présentent pas de différence significative entre les sexes : indiens d’Alabama (Bridges 1989) et Arikaras du Dakota (Saunders 1978).

    c) Le groupe Pacifique comprend des populations des Iles Mariannes (Océanie), du 1er siècle ap J.-C. à 1500. Les atteintes varient de 4,3 à 21,1% (Pietrusewski 1997, Arriaza 1997). Ces taux pourraient être le reflet d’activités variées, comme le suggère Arriaza (1997) à Guam : l’important taux de spondylolyse pourrait être induite par l’activité physique nécessaire à la construction de leurs maisons bâties avec des lourdes pierres (les latte stones). La différence entre les sexes n’est pas statistiquement significative.

    d) Le groupe des Asiatiques est uniquement composé des japonais étudiés par Hasebe en 1913 qui observa 7 spondylolyses sur 125 individus (5.6%)  mais cite 2 autres études japonaises (Adachi 1889 et Taguchi 1889) où des taux plus élevés sont rapportés (10.8 et 10.3%).

    e) Chez les Néolithiques du moyen-Orient de Bab edh Dhra (4e millénaire av. J.C.), Ortner et Pushar (1981) ne retrouvent que 2.17% d’atteintes.

    f) Dans l’échantillon de Néolithiques européens de Choisy dans la Marne, Deverly (2002) retrouve par contre un taux plus important de 14.9% (15 sur 101).

    Chez ces deux derniers groupes très anciens, nos connaissances sur leurs activités physiques restent très imparfaites.

    g) Le groupe des européens des périodes historiques collige les données issues de l’étude de populations de Provence (Mafart 1983, Deverly 2002, Palfi 1992, et la présente étude), de Moravie (Maniscova 2003), des îles britanniques (Waldron 1991), de Slovaquie (Vynhanek 1989), de Hongrie (Palfi 1992), de Lithuanie (Jankauskas 1994) et d’Allemagne (Weber 2002), du 1er siècle Ap J.-C au 19e siècle. Ces populations hétérogènes ont toutes une prévalence inférieure à 9%. Un seul groupe, des Slaves de Moravie du 7e-8e siècle apr. J.C. (Vynhanek 1989), possèdent un taux très important de 18,9% sur 227 individus, alors que les Slaves-Araviques de la même période et de la même étude n’ont qu’un taux de 6.4% sur 929 individus. Nous ignorons si une activité particulière des premiers pourrait expliquer un taux si élevé. La différence entre les sexes n’est pas statistiquement significative sur les 11 échantillons où le calcul est possible.

    h) Groupe d’échantillons d’origine caucasienne ayant émigrés hors d’Europe, constitué des « Blancs » de la Terry Collection (Roche & Rowe 1951), et des Sud-africains contemporains leucodermes de l’étude Eisenstein (1978). Ces collections ostéologiques ont été constituées entre la fin du 19e et le 20e siècle. Les taux retrouvés dans ces deux séries sont proches, compris entre 4.4% et 5.8%. Dans l’échantillon de la Terry Collection, les hommes sont significativement plus atteints que les femmes.

    i) à ces deux études sur os secs, on peut associer les grandes études radiologiques américaines (Moreton 1966, Rhodes et Colangelo 1946 cite in Roche et Rowe 1953, Bailey 1947 cite in Roche et Rowe 1953). Il s’agit d’échantillons sélectionnés puisqu’ils sont constitués de militaires masculins, probablement en bonne santé physique. Ces études retrouvent des taux d’atteintes très comparables au dernier groupe, entre 4.4% et 7.2%.

    j) Le groupe des afro-américains regroupe les données de l’études des « noirs » de la Terry collection (Roche & Rowe 1951) des 19e et 20e siècle et celles de la nécropole d’esclaves d’origine africaine de l’Anse Ste Marguerite (Guadeloupe) datant des 18e et 19e siècles (Deverly 2002). Dans l’échantillon de la Terry collection, le taux de présence est très faible (2.4% sur 1900 individus), particulièrement chez les femmes (1.1%). La différence entre les sexes est statistiquement significative. Cette faible prévalence n’est pas retrouvée dans l’échantillon guadeloupéen (6.6%) mais avec un nombre d’individus bien inférieur (84).

    k) Le groupe des africains sub-sahariens est uniquement constitué des Sud-africains contemporains mélanodermes de l’étude Eisenstein (1978). Le taux est de présence est de 3.2% sur 372 individus. Ce taux ne présente pas de différence significative ni avec les leucodermes de la même étude, ni avec les mélanodermes de la Terry Collection mais la différence est statistiquement significative (P < 0,05)  avec les leucodermes de la Terry Collection.

La spondylolyse est significativement plus fréquente chez les hommes dans la grande série leucoderme de la Terry Collection. Cette prédominance masculine n’est pas retrouvée dans les diverses populations. A contrario, certains échantillons ont  une atteinte préférentiellement féminine. Là encore, le rôle de l’activité physique spécifique pourrait être primordial. Des activités spécifiquement féminines ont par exemple été décrites comme le grattage des peaux, le dos en hyperflexion par les  Ponca du Nord-Est du Nebraska (Reinhard 1994 cité in Larsen 1997) ou en Alaska (Stewart 1953).

 

5 - CONCLUSION

Une prévalence de 6 à 7 % de spondylolyse est donc un taux particulièrement répandu dans diverses populations historiques d’européens et de nord-américains modernes. En comparant les taux des différentes populations historiques européennes à celui de l’étude de Moreton, il n’y a pas de différence statistiquement significative dans 12 échantillons sur 15. Deux groupes ont une atteinte plus faible : les britanniques du 18e-19e siècle de l’étude Waldron (1991) et les provençaux du 18e   siècle de l’Observance (Deverly 2002). Un seul groupe possède une atteinte plus élevée : les Slaves de Moravie du 7e-8e siècle apr. J.C. de l’étude Vynhanek (1989).

Un taux de prévalence de la spondylolyse inférieur ou égal à 10% dans une population est donc probablement sans signification pathologique particulière ni révélatrice d’hypersollicitation. Son interprétation sur un individu isolé doit être extrêmement prudente. Il nous semble abusif de tirer quelque conclusion sur l’état de santé et l’activité du porteur devant une lésion isolée. En effet, la spondylolyse est asymptomatique dans 90% des cas et s’observe chez des individus sans facteurs de risque particulier ni lombalgies.

Certains groupes de populations ont des taux beaucoup plus importants. La physiopathologie de cette affection a conduit à les relier à la pratiques d’activités physiques répétitives comprenant d’importantes contraintes biomécaniques lombo-sacrées en particulier dans certaines populations anciennes ou au mode de vie traditionnel comme les efforts en hyperextension (Merbs 2002) et peut-être le port répété de charge lourdes (Arriaza 1997). Une pratique sportive intense peut être un facteur favorisant dans les populations occidentalisées. Ainsi, une prévalence de spondylolyse de chez 11% a été observée chez de jeunes gymnastes occidentales (Hulkko et Orawa 2001).

Un taux d’atteinte supérieur à 10% dans un échantillon représentatif peut donc faire évoquer une activité physique avec des contraintes biomécaniques lombo-sacrée importantes  pouvant favoriser la survenue spondylolyses.

Pour permettre une comparaison entre échantillons une standardisation des décomptes de spondylolyses est nécessaire nous proposons que les échantillons soit constitués de squelettes dont au minimum L4 et L5 sont conservés avec décompte séparé des formes bilatérales et unilatérales.

 

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PALEOBIOS ,13 / 2004 / Lyon-France ISSN 0294-12/ La spondylose, entité médicale et entité paléopathologique