PALEOBIOS 21 / 2020 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / ISSN 2259-986

 

Petite incursion dans l'historique d'une référence incontournable

de l'anthropologie anatomique moderne : le plan de Francfort

 

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Pierre-Jean Rigaud1-2 et Raoul Perrot1


1 Laboratoire d’Anthropologie Anatomique et de Paléopathologie de Lyon (L2APLyon)

2 Contact : pierrejean.rigaud@gmail.com

Résumé

Le plan de Francfort est devenu une référence incontournable de l’anthropologie anatomique. Les deux auteurs ont pensé intéressant de se pencher sur l’historique des travaux qui ont présidé à son introduction en anthropologie.

Mots-clés : plan de Francfort – référence incontournable - anthropologie anatomique – historique des travaux

Abstract: A small foray into the history of a major reference of modern anatomical anthropology: the Frankfurt plan 

The Frankfurt plan has become a major reference for anatomical anthropology. Both authors thought it interesting to review the history of the work that led to his introduction into anatomical anthropology

Key-words   Frankfurt plan - major reference - anatomical anthropology - work history

Introduction

Dans douze ans, en 2032, le plan de Francfort (PF) aura cent-cinquante ans d’existence. En anthropologie anatomique, et plus précisément en craniométrie, on fait constamment référence - c’est précisément le mot exact - à ce plan. Cette référence universelle est devenue une notion si courante que nous n’y prêtons plus guère attention. Les deux auteurs ont estimé intéressant de se pencher sur l’ensemble des travaux qui ont présidé à son introduction en anthropologie.

1-Définition

Le Plan de Francfort est reconnu comme un incontournable plan de référence anthropologique et un repère important en radiologie. Il forme un plan avec trois points : les deux marges supérieures des deux conduits auditifs externes (Po ou porion) et le point le plus déclive du rebord inférieur de l’orbite (Or ou orbital) gauche (en fait, avec l’orbite droite, on aurait quatre points, mais c’est déjà mathématiquement inutile, de plus comme c’est l’usage en anthropologie, on néglige le côté droit).  C’est à partir de ce plan que sont relevés depuis plus d’un siècle, toutes les normae, schémas et mesures, métriques ou angulaires, de la craniométrie. Krogman [24] écrira par exemple que l’expression « mesured in the FH » est une garantie d’une technique standardisée de mesure.  

2 - Historique  

Le Plan de Francfort appelé également Plan Horizontal de Francfort (PF ou PHF), Plan de Virchow (PV) ou encore plan auriculo-orbitaire, a été adopté, à la fin du XIX° siècle, en 1882, en Allemagne, lors d’un congrès d’anthropologie. Il fut à nouveau, plus officiellement en quelque sorte, confirmé en 1887 à la conférence craniométrique de Munich comme plan de référence anthropologique.

La réunion à Francfort des anthropologues, en majorité allemands semble-t-il, a eu pour but d’uniformiser les méthodes et le langage, dans le domaine de l’orientation du crâne.

Chez l’homme, en effet l’étude du port de la tête ou de la position du crâne ne rencontrait aucune difficulté tant qu’il s’agissait du plan vertical et du plan transversal, il en était tout autrement avec le plan horizontal. Cette difficile gestion de l’horizontalité engendra une multiplicité de plans ou d’axes, proposés ou utilisés par les uns ou les autres selon des critères anatomiques, esthétiques, philosophiques, sociaux, de simple commodité ou de convenance ; cela avait sans doute dû débuter avec les sculpteurs égyptiens, grecs ou romains, plus près de nous on sait qu’Albrecht Dürer [16],s’y intéressa même s’il ne se préoccupait que de la tête et non du crâne, puis cela s’est poursuivi, au XVIIIe siècle et au-delà, jusqu’à la fin du XIXe siècle : ce souci de trouver un terrain d’entente a été jalonné aussi par diverses initiatives, telle la réunion à Göttingen en 1861 sous l’impulsion de von Baër, telle la figure dominante - pourtant non suivie par tous - de Paul Broca [5en France (création de la Société d’anthropologie en 1859, de la Revue d’anthropologie en 1872), cette multiplicité prendra fin avec le congrès de Francfort.

Ces diverses propositions témoignaient de la recherche (Huxley [23] avait écrit, en 1863, que pour comparer les crânes, il faut une ligne fondamentale fixe) d’une référence commune, car aucun des plans proposés jusqu’alors ne s’était imposé pour décrire, mesurer, classer et comparer. Toutes ces initiatives - ou presque - montraient aussi à des degrés divers, un souci d’associer à l’anatomie - sous réserve que les points craniométriques, adoptés par les uns ou les autres, fussent superposables - une justification fonctionnelle (équilibre, direction, du regard, voire manducation).

Paul Broca donna en 1861 une liste chronologique de dix de ses prédécesseurs où on relève les auteurs suivants et leurs propositions :

Louis Marie d’Aubenton (1716-1800), dit Daubenton, premier directeur du muséum d’histoire naturelle. Son plan [11] passait par le bord postérieur du trou occipital (O ou opisthion) et le bord inférieur des orbites (Or ou orbital). Ce plan (Fig.2 : 1), faisait avec le plan du foramen magnum un angle qu’il appela angle orbito-occipital

Pierre Camper (1722-1789), celui à qui on doit l’angle facial, proposa un plan horizontal (Fig.3 : 2) qu’il avait imaginé (1768), joignant l’épine nasale inférieure (Ns ou nasospinal) et le centre des conduits auditifs externes (en fait sa ligne horizontale n’est pas aussi horizontale qu’il le disait). Son travail ne sera publié qu’en 1791 après sa mort [9]

Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), proposa en 1795 [4] pas exactement un plan, mais une vue (c’est d’ailleurs lui qui inventa le nom de norma verticalis) lorsque l’on observe le crâne, privé de sa mandibule, reposant naturellement par sa base sur une table), (Fig.1: 3). La position ainsi prise par le crâne est tributaire des reliefs de cette base, elle peut être différente (os altérés, absence de dents ou dents trop longues, mastoïdes minuscules ou importantes) d’un crâne à l’autre, pouvant aller selon Broca à des écarts de 12 à 16 °.

Charles Bell (1774-1842) qui avait remarqué que des crânes posés sur une table basculaient spontanément en avant ou en arrière imagina [3] de chercher l’axe vertical de la tête avec une tige métallique introduite dans le foramen magnum jusqu’à la voûte en mettant le crâne en équilibre sur la pointe de cette tige et lorsque cette dernière, sans toucher les bords du trou occipital, se trouvait exactement au milieu de la ligne joignant un condyle à l’autre, la tige ( Fig.2 : 4) concrétisait l’axe vertical du crâne (en même temps que qu’elle était sensée matérialiser le vertex), . En fait cette verticale est une question de poids et non de craniométrie. 

John Barclay [2] adopta deux lignes basi-faciales (Fig.1 : 5 et 5’) : l’une dite supérieure étant la direction de la voûte palatine, l’autre dite inférieure étant la direction du bord inférieur de la mandibule. Ces deux lignes, pas forcément parallèles, fonction des variations propres du palatin comme de la mandibule sont totalement étrangères au neurocrâne, elles ont peut-être un intérêt pour le dessin, mais pas pour la craniométrie. 

Georges Busk [7] qui avait remarqué comme Charles Bell que la ligne porion-bregma était très souvent verticale, pensait que si on mettait cette ligne dans le plan vertical, le crâne était positionné ipso facto (ligne de Busk, Fig.1  : 6). Comme pour la ligne verticale de Charles Bell, qu’un plan de référence soit vertical n’a rien d’insolite, il suffit de prendre la perpendiculaire à ce plan pour retrouver l’horizontalité des autres plans, l’ennui est que la position du bregma est elle-même variable.

L. A. Gosse [22] un précurseur de Busk, en plaçant le crâne sur une table comme Blumenbach, faisait tomber une perpendiculaire à partir du bregma), (Fig.3 : 7).

L’abbé Frère (né en 1786, polytechnicien, puis prêtre)[19] avait œuvré dans le même sens (Fig.1  :8) et la même année que Busk (1838). En fait, selon ce dernier lui-même - qui le cite - Frère ne se souciait que de séparer le crâne antérieur du crâne postérieur, sans s’occuper des questions de position.  

Karl Ernst von Baër (1792-1876) élabora (Fig.3 : 9) - un autre système [1] de repère avec le bord supérieur de l’arcade zygomatique. Ce repère osseux directement accessible à l’observation, était très séduisant - même si cette arcade est étrangère au neurocrâne - quand l’arcade était rectiligne (ce qui est souvent le cas), mais ce bord est parfois courbe ce qui altère toute précision. C’est malgré tout ce plan qui fut adopté en 1861 au congrès de Göttingen.

Aeby proposait (Fig.4 :10) une ligne, naso-basilaire, passant par la racine du nez (N ou nasion) et le point antérieur médian du foramen magnum (Ba ou basion). A noter que Paul Broca, qui ne la mentionne qu’en note, n’inclut pas cette ligne dans sa liste (cf. supra) parce qu’il la trouvait trop oblique par rapport à la direction du regard dont il s’était fait le défenseur.

Paul Topinard (1830-1911) ajoutera en 1877 quelques autres auteurs et plans [28] :

     Merkel, dont le plan allant du centre du conduit auditif au bord inférieur de l’orbite (Or ou orbital) est presque superposable au PF (Fig.3 : 11).

     Hamy (1842-1908) proposait un plan (Fig.3 :12) passant par le point le plus saillant de la glabelle (G ou glabellaire) et le sommet de la jonction des sutures sagittale et lambdoïde (L ou lambda) . Son emploi est préconisé par l’auteur pour les crânes abîmés où face et (ou) condyles manquent.

     Rolle défendait un plan associant le centre du méat auditif externe au point alvéolaire (Alv ou alveolon) (Fig.2 :13) ;

      Le plan de mastication (Fig.1  :14) lié à la surface des molaires, horizontal et appartenant au seul splanchnocrâne, est donc guère - intuitivement – fiable pour orienter le neurocrâne, même si, séparés en principe, neurocrâne et appareil dentaire ne sont peut-être pas aussi indépendants que cela). Aisément matérialisable par une règle mince plate insérée entre les deux arcades dentaires, ce plan a eu un moment la faveur de Broca qui y a ensuite renoncé parce que trop tributaire de l’état de la denture ;

      Le plan glabello-occipital (Fig.1  :15) allant de la glabelle (G) au point le plus saillant de l’occipital (Op ou opisthocranion), c’est dans ce plan qu’est compris le diamètre antéro-postérieur du crâne classique de la craniométrie) ;

      Le plan naso-iniaque (Fig.3 :16) allant de la racine du nez (N) au point le plus saillant de la protubérance occipitale externe (I ou inion) :

     Le plan naso-opisthiaque (Fig.4 :17) allant de la racine du nez (N) à l’opisthion (O). Cette ligne serait admise, avec Girard et Huxley, comme parallèle aux canaux semi-circulaires externes. Voir infra Rigaud (1961), (Fig.4 : 28). 

Louis Bolk (1866-1930) cet anatomiste hollandais (cité par Perez [25] ) avait choisi une ligne (Fig.4 : 18) - unissant le fronton (le point endocrânien au niveau duquel la face postérieure de la paroi crânienne antérieure cesse de se porter en avant pour continuer avec le toit du sinus frontal et des cellules ethmoïdales) avec le pôle postérieur de l’endocrâne (point sagittal le plus éloigné du fronton). Cette ligne, très compliquée à gérer sur un crâne intact, deviendra plus accessible avec la radiologie.         

Un peu plus tard Delattre et Fenard [12 / 13 / 14 /15] y ajouteront les plans proposés par les sept auteurs suivants :

        Spix (1781-1826) avec un plan tangent à la face inférieure des deux condyles et le point médian le plus déclive du bord alvéolaire supérieur) (Fig.4 : 19) ;

        Lucae (1787-1821) avec un plan passant par l’axe des deux arcades zygomatiques et le bord inférieur des orbites) (Fig.1 : 20) ;

        Schmidt (1865-1919) avec un plan passant par la racine des zygomas et le bord inférieur des orbites) (Fig.1 : 21) ;

        Krogman (1903-1987) avec un plan parallèle au PF passant par le nasion) (Fig.1 : 22);

        Morton (1799-1851) avec un plan passant par les points culminants des quatre bosses frontales et pariétales) (Fig.3 : 23) ;

        Bjork1 avec un plan passant par le centre de la fosse hypophysaire et le nasion (Fig.2 : 24) ; 

        Van de Brock1 avec la tangente à la lame criblée et à la selle turcique (Fig.4 : 25).

Cette succession, qui va enchevêtrer les schémas (cf. Fig. 1, 2 , 3, 4) - et il y a eu, peut-être, d’autres essais 2 se termine avec :

Paul Broca (1824-1880) qui, avec son plan alvéolo-condylien s’est attaché aux relations entre l’orientation du crâne et la vision (Fig.4 : 26). A la recherche d’un plan horizontal, il avait d’abord choisi, puis abandonné le plan de mastication (cf. supra). Il adopta (selon les idées de Helmholtz) le concept de l’homme debout dont le regard est dirigé vers l’horizon et finit par admettre que le crâne était en position lorsque le plan alvéolo-condylien (plan tangent à la face inférieure des condyles - milieu du bord alvéolaire) était horizontal. Avec le craniostat qu’il se fit construire, il montra comment on pouvait placer le crâne dans cette position horizontale. Sur le vivant on ne peut connaître la position des condyles, mais un plan lui est parallèle, le plan de mastication. Plan de vision, plan de mastication et plan alvéolo-condylien lui semblaient parallèles entre eux, même s’il avait dû renoncer au plan de mastication. Le plan alvéolo-condylien, très proche de celui de Spix, ne sera pas retenu à Francfort, malgré les arguments que Broca avait déployés pour le défendre : il lui était reproché d’être inutilisable chez le vivant et d’induire une direction du regard trop élevée.

Rudolf Virchow (1821-1902), enfin, avec son plan dit « de Francfort » ou PF joignant le bord supérieur du conduit auditif externe (Po ou porion) au point le plus déclive du bord inférieur de l’orbite (Or ou orbital) sera celui retenu (Fig.1 et Fig.2 : 27). En effet pour mettre un terme à la confusion (ou la multiplicité) qui régnait – la liste supra et les figures (Fig.2 à Fig.4 en témoignent – alors qu’aucun plan ne s’était vraiment imposé, les anatomistes allemands adoptèrent comme compromis le plan horizontal de Virchow. La notoriété de ce dernier - et l’absence de Broca, mort depuis deux ans - n’ont probablement pas été étrangères au choix d’un plan dont on avait déjà beaucoup parlé à Munich en 1877 et à Berlin en 1880. Mais, à Francfort, on n’a pas finalement défini scientifiquement une attitude normale de la tête, le plan adopté était purement anatomique, "basé sur l’à-peu-près" dira ensuite Perez [25]. Le plan adopté était un consensus, peut-être même un pis-aller, mais il est devenu une référence aisée à utiliser sur le crâne sec (si tant est qu’il soit en bon état de conservation) comme sur le vivant (au prix de quelques approximations, mais plus proche de la réalité depuis la radiologie). Cela n’a pas été aussi arbitraire qu’on pourrait le supposer, car on avait là un outil simple et stable. La situation, après 1882 et la consécration du PF à Munich cinq ans plus tard, était apaisée, si tant est qu’elle eut été troublée3 en tout cas elle était clarifiée et la situation est restée en l’état. Il sera souvent écrit aussi que les allemands4 adoptèrent le PF et les français celui de Broca. Mais, si le plan avait été adopté, un certain nombre de chercheurs cependant, sans être dans la contestation ouverte, n’était pas entièrement satisfait de ce plan, insuffisamment sous-tendu par la physiologie. On connaissait l’existence de l’oreille interne, son rôle dans l’audition et l’équilibre s’imposa peu à peu, puis, avec Röntgen (première radiographie en 1895), la radiologie entra en scène et permit (radiographies et tomographies) de s’affranchir de la dissection, procédé destructeur et malaisé. Une génération d’auteurs - "post-Francfort" pourrait-on dire - se pencha sur les rapports entre le labyrinthe et le PF, on y rencontre Girard [20], Perez [25] Delattre, Fenart [12 / 13 / 14 /15], plus tard, Rigaud et coll. [27], puis avec Bonjean et coll. [6] défendirent le plan nasion-opisthion ou plan de Bordeaux plutôt radiologique, mais repérable aussi sur le vivant (ce plan, repéré par le niveau d’eau ou un cerclage au plomb de l’orifice externe du conduit auditif, affleure le rebord inférieur du conduit auditif)(Fig.4 : 28). Le plan vestibial (comme on commençait à le nommer), même enclavé dans son bloc pétreux et échappant à l’observation directe, trouvait son véritable rôle avec l’espoir de l’associer au PF. On ne fera ici qu’effleurer le sujet, ces travaux importants, tant en matière qu’en volume, dénatureraient le sujet de cette note, dédiée au PF.

3- Discussion

On peut retenir comme acquis :

a) Le plan lui-même, c’est-à-dire son existence : il n’est plus nécessaire, en effet, d’avoir à choisir tel ou tel plan parmi ceux qui avaient été avancés, voire même se doter d’un plan personnel, et ce avec l’assurance et la tranquillité d’esprit de savoir que son texte sera intelligible et vérifiable par tous.

b) C’est un plan horizontal (ou proche de l’horizon, ce qui nous est plus culturellement familier), tout en restant un consensus.

Par contre on peut regretter :

a) Son hétérogénéité : c’est seulement une question de principe, une construction, hybride, fondée sur deux repères osseux (les porions) qui relèvent du squelette crânien (neurocrâne) et un repère osseux (l’orbital) qui relève du squelette facial (viscérocrâne ou splanchnocrâne), les premiers sont d’un accès immédiat, aisé, le second (point le plus déclive) peut éventuellement en nécessiter la recherche, a fortiori chez le sujet vivant.

b) On peut aussi regretter le fait que le PF induise une direction du regard trop orientée vers l’avant. On imagine difficilement nos ancêtres, Néanderthaliens ou autres, ayant eu en permanence les yeux orientés volontairement vers l’horizon (ce que suggèrerait plutôt le canal semi-circulaire horizontal) : il était prudent sans aucun doute de regarder au-dessus des hautes herbes de la savane africaine ! Mais il était encore plus prudent de regarder vers le sol où on mettait les pieds pour déjouer toutes sortes de traquenards! A noter que Dastugue [10émettait la même idée.

c) On pourrait également déplorer que le choix du PF, un compromis, ait été arrêté sans qu’un lien fût fait avec cette réalité universelle et fixe dans l’espace, chez tous les vertébrés : le siège intra-pétreux de l’organe de l’équilibre, le labyrinthe et plus précisément le canal semi-circulaire externe. Le PF a été adopté comme s’il s’agissait d’une vérité scientifique alors que ce n’était (même si elle s’est révélée très utile) qu’une construction. Le labyrinthe, fixe, n’est pas l’objet d’une construction intellectuelle, les mathématiques nous enseignent un triaxe orthonormé qui se trouve dans la disposition des trois canaux semi-circulaires, réalité anatomique qui matérialise ce qui est le vrai plan horizontal (mais loin d’être d’un accès aisé qui oblige à détruire l’os - très compact - qui l‘entoure, ce qui ne se prête guère à la routine). Il y a une constante chez tous les vertébrés, c’est le système vestibulaire ainsi que la sujétion de ce dernier aux lois de la gravité. L’écart (Fig. 5 et Fig.6) entre PF et plan vestibial est de l’ordre de 28 à 37°, selon Perez [25]

De plus, il y a une sorte de dissociation chronologique entre l’ossification du squelette labyrinthique et celle du reste du squelette crânien. Il est remarquable que chez un fœtus de 5 mois, le labyrinthe ait déjà atteint les dimensions qu’il connaîtra à l’âge adulte (alors que la tête ne mesure encore que 6 cm) avec un os très épais et très dur qui ne connaîtra ensuite ni l’ostéoporose sénile ni de réparation en cas de fracture. Il en sera de même pour l’anneau tympanal ainsi que les osselets qui atteignent pratiquement leur taille définitive à la naissance. Le reste du crâne s’ossifiera ensuite à son propre rythme, sans que le labyrinthe y participe, ce qui compromet l’établissement de rapports anatomiques constants entre labyrinthe et reste du crâne, effectivement des chercheurs ont trouvé des asymétries (mais non statistiquement significatives) entre les deux labyrinthes. Au cours du développement cérébral et crânien, le plan vestibulaire restera immuablement horizontal. Pérez [25], avec une certaine logique, avouait ne pas arriver à comprendre pourquoi on disait que c’est le plan vestibial qui s’écartait du PF alors que c’est exactement le contraire : le véritable plan horizontal est le plan vestibial, les autres plans, dont le PF, ne sont que des constructions !

Concrètement, on pourrait imaginer deux attitudes, l’une dite de repos, régulière, avec un plan vestibulaire horizontal et un regard habituel vers le sol, devant soi, comme nous l’adoptons en promenades, l’autre dite d’alerte, transitoire, avec le front et le regard plus élevés ; la position de repos étant reprise automatiquement quand cesse ce qui a entraîné l’alerte.

Conclusion.

Sur le plan pratique, vouloir une correspondance trop précise entre PF et canal semi-circulaire externe est d’emblée illusoire, de plus ce que l’on observe sur le crâne sec et sur le vivant ne peuvent guère être interchangeables. Le PF, malgré son isolement du labyrinthe, garde son rôle de référence. Mieux vaut quelque chose d’imparfait, mais dont on cerne les limites et qui soit une convention simple reconnue par tous que quelque chose de plus "physiologiquement exact" mais d’approche plus difficile et comportant des approximations elles-mêmes sujettes à variations.

Cela étant, si des avancées en imagerie ou en informatique parvenaient à réconcilier – de manière pratique - le labyrinthe osseux et le neurocrâne, cela ne remettrait sans doute pas en cause le PF, mais ce serait extrêmement apaisant pour les anthropologues.   

Fig. 1 - Schéma, en norma lateralis, emprunté à Krogman. Les plans, affectés de leurs numéros dans le texte, y ont été rajoutés.

 Fig.2 - Craniogramme sagittal, emprunté à Perrot, ce croquis comportait en surimpression le tracé du PF. Les différents plans, affectés de leurs numéros dans le texte, y ont été rajoutés.


Fig. 3 - Schéma, en norma lateralis, d’un crâne. Les plans, affectés de leurs numéros dans le texte, y ont été rajoutés.


Fig. 4 - Craniogramme sagittal, emprunté à Topinard. A la différence de celui de la Fig. 2, Topinard n’a pas tracé le PF en surimpression (cf.note3). Cd correspond au relief du condyle droit, F au frontal et Af au néologisme d’antifrontal.

  Fig. 5 - Schéma, du crâne et du rachis cervical, en norma lateralis, emprunté à Girard, illustrant les relations angulaires entre le PF et le plan vestibulaire CH. Le PF y a été rajouté pour illustrer l’ordre de grandeur de l’écart, de 30 °, entre ces deux plans. Le segment LL’ correspond à la ligne zygomatique.

 Fig.6 - Dessin, emprunté à Fenart et Canal, montrant la situation spatiale des canaux semi-circulaires externes chez l’homme. Le PF a ensuite été ajouté au dessin, au crayon.   

Notes

1 - On imagine mal le travail de ces deux auteurs sans le secours de la radiologie.

2 - En effet, on a relevé, à postériori, outre des plans issus de la pratique radiologique ou de la céphalométrie clinique, outre également des plans de superposition ( de points ou de structures, sur une base stable, pour des suivis de traitements ou de croissance), donc applicables au seul sujet vivant, les propositions suivantes : ligne Ba-Or, plan Na-Ba (Huxley), ligne Ba-Pr ( Virchow et Welker),  horizontale de Lahaye (axe de l'arcade zygomatique), sans parler d'autres, d'ordre esthétique ou physiologique (vision), certains affirmant même qu'il n'y a pas d'orientation constante pour les crânes, chacun ayant son orientation propre.

3 - On doit cependant relativiser : l’édition, posthume de l’ouvrage de Paul Topinard, en possession de l’un de nous, ne mentionne pas une seule fois le Congrès de Francfort et le Plan de Virchow. Cela n’avait rien d’étonnant pour la première édition (1876), mais comme il y a eu des rééditions (la cinquième en 1895 !) et comme l’auteur n’est décédé qu’en 1911, ce ne peut être un oubli, mais il ne nous appartient pas de prendre position sur le sujet.

4 - En témoigne le terme "horizontale allemande", relevé dans une communication à la Société d’Anthropologie de Lyon, en 1907, soit 25 ans après Francfort.

                

Bibliographie

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[26] Perrot (R.), 2006, Précis d’anthropologie descriptive et métrique du squelette, Lyon 2014.

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[29] Virchow (R.), Cf.: The Rudolf Virchow plan. British Medical Journal, 1888, p.1351.

 

 

 

 

 

 

Petite incursion dans l'historique d'une référence incontournable de l'anthropologie anatomique moderne : le plan de Francfort

(Pierre-Jean Rigaud et Raoul Perrot), PALEOBIOS, 21 / 2020 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / ISSN 2259-986


[Mise en ligne : 02/05/2020]