Les représentations humaines, sexuelles et sexuées, au Paléolithique supérieur, en Europe

[Mémoire du CSBM Anthropologie (2005/163), présenté par Laure PIERREL]

[ retour au menu général de navigation]

Introduction

L'humanité actuelle appartient à l'espèce d'Homo sapiens, qui est apparue en Afrique subsaharienne il y a environ deux cent mille ans. Puis, Homo sapiens a quitté l'Afrique il y a cent cinquante mille à cent mille ans pour se diriger vers l'Arabie et le Moyen-Orient et, de là, vers l'Asie, l'Europe et l'Australie, laissant un peu partout des traces de son existence. Cette étape de l'humanité constitue la « Préhistoire » ; c'est à partir d'environ 3500 avant J.-C., suite à la Révolution Néolithique et à la sédentarisation des hommes, que l'« Histoire » proprement dite commence. On sait depuis la plus haute Antiquité que des êtres vivants dont les espèces ont aujourd'hui disparu, ont existé. Au seizième siècle, on les nomme « fossiles », et leur étude en est la paléontologie. Jusqu'au début du dix-neuvième siècle, l'homme est mis à part dans la nature et on situe l'apparition sur Terre de son premier représentant, Adam, vers 4000 avant l'ère chrétienne. Mais cette croyance d'origine religieuse va être remise en cause : entre 1820 et 1830, on commence à récolter dans certains abris-sous-roche, en France et en Belgique, des objets en pierre qui proviennent manifestement de l'industrie humaine. Quelques années plus tard, ce sont des ossements humains qui sont découverts : on parle alors d'« hommes fossiles » et la paléontologie humaine se développe. Au milieu du dix-neuvième siècle, les sciences de la préhistoire et la théorie de l'Evolution conduisent à penser l'origine de l'homme non plus comme création divine, mais comme filiation, ce qui place l'homme au sein du règne animal. Les préhistoriens tentent alors de reconstituer les cultures, modes de vie et même les modes de pensée des Préhistoriques, à partir de leur outillage, de leurs ossements, de l'étude stratigraphique des couches rocheuses, des sépultures et de l'art préhistorique.

Cette notion d'« art préhistorique » a été l'objet de polémiques au siècle des Lumières, lors des premières découvertes de peintures pariétales ou rupestres. En 1878, l'espagnol Marcelino Sanz de Sautuola explore la grotte d'Altamira, en Espagne, découverte peu de temps auparavant. Il est fasciné par les peintures du grand plafond et bien que peu expérimenté, il perçoit l'ancienneté de ces peintures. Son travail suscite incompréhension et mépris de la part des préhistoriens, jusqu'à ce que des découvertes similaires et de pièces mobilières, datées par stratigraphie, se multiplient en Europe. La polémique porte sur la question suivante : la notion d'art est-elle vraiment applicable aux représentations graphiques que nous ont laissées nos ancêtres ? Ne sommes-nous pas en train d'appliquer à ces images notre « lecture » d'homme moderne ? Nos critères esthétiques nous permettant de qualifier une œuvre d'artistique ne sont-ils pas décalés par rapport aux représentations préhistoriques ? La difficulté porte sur l'étude et la transposition du passé dans le présent, et nous risquons de créer des anachronismes. Il est également difficile de dater la naissance de l'art. Peut-on parler d'art en ce qui concerne les outils bifaces taillés, du fait de leur symétrie, de la finesse de leur exécution qui implique la pensée, ou bien doit-on réserver cette notion aux œuvres qui ont une valeur, un sens, outre leur utilité dans la vie quotidienne ? Cette seconde hypothèse est la plus fréquemment retenue, et pour Leroi-Gourhan ( 1992 ), l'art proprement dit naît au Paléolithique Supérieur, c'est-à- dire il y a environ quarante mille ans. Les raisons qui ont motivé les Préhistoriques à s'adonner à cette activité artistique sont encore inconnues ; plusieurs théories s'affrontent : goût esthétique, pratiques magiques ou plutôt religieuses... Ces trois motifs ne sont d'ailleurs pas incompatibles. L'art est, de toute façon, une œuvre de l'imagination du créateur et est soumis à l'interprétation personnelle et subjective de chacun. Nos interprétations de l'art préhistorique peuvent prendre deux voies principales : ou l'homme préhistorique représentait la réalité de son époque, en la simplifiant parfois selon des codes artistiques ; ou il ne créait pas au hasard et pour le plaisir, mais ses œuvres s'inscrivent dans la croyance en des mythes, voire des religions. Et, à cela, s'ajoute dans l'interprétation les propres croyances et préjugés de l'homme moderne. Ce sont là les limites de l'interprétation...

Le thème de ce mémoire est l'occasion de s'interroger sur le discours porté sur nos origines et sur les origines du sexe et de la sexualité ; de confronter les idées préconçues - qu'aujourd'hui encore - nous avons concernant nos ancêtres à ce sujet, avec les indices que la science nous apporte ; de faire le point et de lever les tabous existants lorsque nous abordons le thème du sexe ; de détruire l'image bestiale et triviale de l'homme préhistorique en prouvant qu'il était doué d'une pensée, d'une conscience, d'une intériorité et donc de capacités artistiques. Nous employons le terme d'« homme préhistorique » de façon générale, mais il inclut bien sûr la gente féminine ; il n'est plus nécessaire au vingt-et-unième siècle de le préciser, alors que les femmes luttaient encore dans la seconde moitié du vingtième siècle pour faire reconnaître leur rôle dans la société contemporaine, tout comme elles revendiquaient le rôle de leurs ancêtres féminins dans la société préhistorique. L'art joue d'ailleurs un rôle majeur - mais non exclusif - dans l'évolution de la « place des femmes dans la Préhistoire ». Pour cela, nous allons étudier les représentations d'art paléolithique connues à ce jour, présentant le sexe et la sexualité dans leurs aspects réels et mystérieux, mystiques : nous pourrons alors émettre des hypothèses quant à la vie et à la pensée de l'homme au Paléolithique Supérieur grâce au message - véritable langage - qu'il a inscrit sur les parois des grottes ou les objets mobiliers.