Les représentations humaines, sexuelles et sexuées, au Paléolithique supérieur, en Europe

[Mémoire du CSBM Anthropologie (2005/163), présenté par Laure PIERREL]

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3 - Mythes et symboles sexuels

 

 

Navigation dans le chapitre 3  :

 

3.1 - Images de l'homme préhistorique

3.2 - Imaginaire de l'homme préhistorique

3.2.1 - Le mythe de la Grande Déesse Mère paléolithique

3.2.2 - La religion et les rites préhistoriques

3.3 - Une lecture symbolique et sexuelle des représentations d'art paléolithique

3.3.1 - ... à travers les signes

3.3.2 - ... à travers l'organisation des symboles au sein des grottes

3.3.3 -  Un " univers symbolique" ( Vialou, 1996 )

 

 

 

Aux débuts de la paléontologie et de l'archéologie, à la quête des origines de l'Homme, nous nous sommes attachés à des mythes et à des idées reçues. Les sciences de la Préhistoire, plus objectives, et cherchant des indices, ont ensuite pris le dessus sur une vision tronquée, fortement dépendante du contexte socio-économique de l'époque contemporaine et de l'influence religieuse judéo-chrétienne ( celle-ci pesant en faveur d'une position dominée de la femme ). Cependant, on continue à penser que l'homme préhistorique, doué de conscience, de pensées, d'imagination, et même de croyances, a créé ses propres mythes (tel celui de la Déesse-Mère) et on n'hésite pas à analyser sous un angle de vue symbolique les traces culturelles qu'il nous a laissées. Si certaines conceptions sont intemporelles et se retrouvent dans toutes les communautés du monde, la majorité des croyances qui ont trait à la sexualité sont en réalité propres à une culture spécifique. Cette « loi générale » n'échappe pas à la culture préhistorique d'Homo sapiens.

 

3.1 - Images de l'homme préhistorique

 

L'importance des images représentant l'homme fossile montre à quel point la préhistoire s'inscrit dans l'histoire. La vision de l'homme préhistorique par l'homme moderne a longtemps été prisonnière de clichés et on a construit un véritable mythe de l'homme - et de la femme - préhistoriques. Il existe en fait deux représentations qui oscillent entre un homme brutal, violent, et un homme d'image plus «  moderne ». L'image d'un homme sauvage, barbare, avec des réminiscences animales, armé d'un gourdin... est la plus commune. Cette théorie a notamment été utilisée par les défenseurs des théories évolutionnistes, au dix-neuvième siècle, afin d'insister sur la différence entre bestialité primitive et civilité contemporaine ( Vallin, 2000 ). Homo sapiens est décrit comme un être au psychisme rudimentaire, dont l'industrie lithique est grossière, sans notion d'esthétique... ( ce que l'on contredit totalement aujourd'hui ) ; les armes fabriquées sont conçues à des fins prédatrices et même cannibales ( théorie du « singe tueur », Leakey, 1981, d'après Vallin, 2000 ). On a attribué à Homo l'élimination d'Australopithecus, et celle de neandertalensis par sapiens. Les théories darwiniennes ont encouragé cette vision violente de l'homme préhistorique, la violence étant innée et nécessaire à la survie, pour effectuer la sélection naturelle du plus fort ( « loi de la jungle » ). Ces théories ont pour thème majeur la sélection sexuelle ; on imaginait volontiers, il y a quelques dizaines d'années, les grands singes, lubriques, violant des femmes... : la possibilité de l'hybridité entre humains et simiens fut une question longtemps soulevée ( ibid. ). Le seul moyen de savoir si c'était réalisable, comme le faisait remarquer Rousseau ( d'après Ducros, 2000 ), aurait été d'effectuer des expériences d'interfécondité. Les moyens modernes permettent à présent de réaliser de telles expériences in vitro, mais cela serait éthiquement inadmissible ! De même qu'il était inconcevable, au début du dix-neuvième siècle, que l'homme « descende du singe » aussi bien pour les scientifiques que pour les interprètes de la Bible et même pour toute la société ; puis il a fallu le reconnaître. Le « chaînon manquant » a été nommé « homme-singe » ( Pithecanthropus ) par Dubois en 1891( d'après Ducros, 2000 ). « Les ancêtres semi-humains mâles de l'homme et les sauvages ont, pendant bien des générations, lutté les uns contre les autres pour la possession des femelles » ( Darwin, 1871, d'après Ducros, 2000 ). La primauté de l'homme par rapport à la femme dans la société est donc pour Darwin l'héritage direct de cette compétition sexuelle qui a sélectionné les traits les plus avantageux des Grands Singes. Quant à la femme, elle a développé d'autres traits : beauté, séduction... qui ont fait d'elle un objet sexuel et un être aux seules fonctions reproductrices. Au Siècle des Lumières, en effet, on attribuait à l'homme ( au sens individu de sexe masculin ) toutes les inventions ; la femme était reléguée au second plan, femme au foyer, incapable de participer à une quelconque forme d'art retrouvée. On a élaboré un stéréotype de compétition sexuelle, parfois observée chez les Primates, représenté par le personnage de King-Kong ( Vallin, 2000 ). La caricature, le cinéma, la chanson, la bande dessinée, la publicité, véhiculent encore ces clichés ; mais le roman préhistorique tend à réhabiliter une image plus moderne et moins caricaturale de l'homme préhistorique.

Même la sexualité du singe, qui choquait au dix-neuvième siècle, est directement comparée à celle de l'homme actuel, notamment celle des bonobos ( voir supra ) : « Les similarités entre les bonobos et les humains ne seraient-elles pas dues à la conservation de traits socio-sexuels caractéristiques d'une espèce ancestrale ? », s'interroge Blount ( 1990, d'après Ducros, 2000 ).

L'image moderne de l'homme préhistorique est celle d'un homme proche de le nature ( en symbiose avec celle-ci ), interdisant aux animaux de tuer les membres de leur propre espèce. Dans cette conception, la violence n'est pas innée, mais serait née d'une rupture entre l'homme et la nature ; ce serait un produit social des premières civilisations du Néolithique. La sédentarisation, la pression démographique, les compétitions territoriales, l'accumulation des ressources, les échanges... auraient engendré des conflits et des guerres. Les arguments en faveur de cette théorie sont rares et peu fiables : on a trouvé des traces de découpe sur des os humains, des crânes fracturés, des blessures au bassin sur des squelettes, etc... Les ossements humains, l'art figuratif, qui représentent de rares scènes de combat mettant en jeu l'homme, les armes de pierre, de bois ou d'os, des structures de défense collectives et individuelles, sont les documents qui appuient la thèse d'une attitude humaine primitive violente. La « société de consommation » et le développement des connaissances qui n'ont cessé d'évoluer depuis lors, ont donc perverti l'homme préhistorique « si naïf et si pur » ( Ducros, 2000 ).

Finalement, la violence est-elle un produit social de l'homme, est-elle innée, ou bien un produit de l'hérédité et de l'acquis à la fois ? Ce sont les questions fondamentales que se pose l'homme moderne s'intéressant au mystère de ses origines.

 

3.2 - Imaginaire de l'homme préhistorique

 

Si l'homme moderne, qui se passionne au sujet de ses origines, fonde un mythe - quel qu'il soit - de l'homme préhistorique, ce dernier a sans doute élaboré lui aussi des mythes afin de comprendre son environnement. Dans cet univers de l'homme préhistorique, il semblerait que la femme soit placée en position centrale, et non comme subalterne de l'homme tel qu'il en a été plus fréquemment le cas dans les sociétés contemporaines. Et la sexualité, si l'on en croit les interprétations des archéologues et des préhistoriens, est au cœur de leurs préoccupations et de leurs créations ( statuettes féminines, peintures pariétales, rites,... ). Pour Freud également, la frustration sexuelle, née de la nécessité de limiter la sexualité, est à l'origine du langage, de l'intelligence, de la magie, de l'art et de la structuration de la société ( d'après Cohen, 1999 ).

 

3.2.1 - Le mythe de la Grande Déesse Mère paléolithique

 

L'anthropologie des populations archaïques, les mythes du Néolithique, supposent un ou plusieurs mythes d'origine datant du Paléolithique. La théorie la plus répandue afin d'expliquer les nombreuses représentations féminines au Paléolithique, nommées Vénus, est celle de la représentation d'une grande Déesse Mère, dans une société matriarcale. Cette théorie a notamment été répandue par une archéologue, Marija Gimbutas défendant la thèse d'une domination religieuse et politique des femmes à l'époque glaciaire, paléolithique, puis dans les premières sociétés agricoles européennes ( liée à la tendance féministe actuelle ). Cette déesse est le symbole de la fertilité, de la vie ( et de la mort ), de la force originelle de la nature et de tout l'univers ; de la maîtrise de la culture, de la religion ( si l'on accepte qu'il existait une « religion » préhistorique ) et de la sexualité.

Au Néolithique notamment, la condition des femmes, rappelons-le, s'est élevée dans la société, dans la « horde primitive » : elles transmettent l'apprentissage des nouvelles techniques à leurs enfants et la parenté s'effectue en ligne féminine ( filiation matrilinéaire ) ; les premières divinités sont féminines, selon la thèse du « matriarcat primitif ». Cette forme de matriarcat a résidé en Eurasie jusqu'environ à l'Age du Bronze, au moment où l'on date le passage à des religions patriarcales, avec des divinités masculines ; les représentations masculines sont d'ailleurs plus nombreuses ( phallus, statuettes, ... ). Au Néolithique, c'est probablement la connaissance et la domination sur les animaux qui permet à l'homme de découvrir son rôle dans la procréation, « la charrue acquit une signification phallique comme étant l'instrument qui prépare la terre à être fertile » ( James, d'après Michel, 2003 ). Alors on accorde d'abord un partenaire mâle à la Déesse Mère, puis Dieu devient un homme ( cas des religions juive, chrétienne et musulmane ).

On peut cependant douter de cette hypothèse matriarcale du fait de la représentation passive des Vénus ( face aux hommes représentés actifs, chasseurs ), et sans visage, mais aux attributs sexuels largement développés. « Cautionner le mythe de la déesse préhistorique, c'est pérenniser en la divinisant l'image éternelle de la femme définie par sa passivité et sa fécondité, laissant au héros mâle le privilège de l'individualité et de l'action » ( Cohen, 2003 ).

Ce mythe de la Grande Déesse s'accompagne d'un symbole de la magie de la chasse, d'un lien avec les astres, et de la magie de la fécondité surtout, au Paléolithique. Ce que nous connaissons des chasseurs du Paléolithique, ce sont leurs créations artistiques qui représentent les grandes puissances de la nature. L'élément humain, notamment féminin, même s'il est dominé par l'élément animal, n'est pas négligeable. Ces représentations féminines s'interprètent comme des Déesses Mères, puissances suprêmes de vie et de fécondité car elles sont responsables de la reproduction des espèces, humaines et animales. Cette thèse est fréquemment retenue car les idoles ont traversé les époques, du Paléolithique à l'Age du Bronze. Pour Hawkes ( d'après Lévêque, 1997 ), le personnage féminin n'est pas reproduit fidèlement ( absence de réalisme ), le but étant de signifier l'idée de fécondité ( d'où la mise en valeur des seins, du ventre gravide, de la vulve, etc... ). Outre leur symbolisme de la fécondité, on peut les considérer comme maîtresses de la chasse ( féconde également ) ou comme protectrices de l'habitat. Dans tous les cas, elles veillent à la reproduction de la nature et des groupes humains.

L'art paléolithique possède aussi un Maître des animaux, dieu de la forêt et de la chasse, figuré par exemple dans la grotte des Trois-Frères, à travers le « Dieu cornu » ( fig. 56 ).

Il existe donc trois grandes puissances de la nature :

+ les animaux féroces ;

+le maître des animaux ;

+ la Déesse Mère, maîtresse de la reproduction des êtres vivants ( au Paléolithique : homme et animal ; au Néolithique : les végétaux en plus ) et maîtresse de la chasse.

Mais dans l'art paléolithique occidental, les Grandes Déesses Mères sont également maîtresses des animaux : plusieurs représentations pariétales illustrent des scènes sexuelles entre femme et animal ( fig. 57 ). D'étroites relations sont établies entre chasse et reproduction, toutes deux génératrices de vie pour l'espèce humaine. Certaines assimilent sagaie et phallus ou blessure et vulve : « les blessures infligées aux animaux sont des sexes ouverts et ces signes féminins sont généralement associés à des signes masculins » ( Lévêque, 1997 ). Et cela perdure jusque dans la Grèce antique ( Artémis, déesse de la Chasse... ). Marshack ( d'après Lévêque, 1997 ) a montré que ces mythes paléolithiques s'inscrivent dans le temps : les astres y sont mêlés ; la Lune notamment est en liaison directe avec la fécondité de la Déesse Mère : la Vénus de Laussel ( fig. 16 ) tient de la main droite une corne ( symbole de force vitale ) gravée de treize signes correspondant aux treize mois lunaires de l'année solaire. Parmi les puissances que discerne le chasseur dans la nature, qui existent depuis le Paléolithique et qui sont : le Maître des animaux, le Père céleste des éleveurs, et la Terre Mère des agriculteurs, c'est la Grande Déesse Mère qui prédomine.

Tandis que les animaux reflètent l'expérience concrète du groupe humain, avec lequel ils entretiennent un rapport ambigu de domination-soumission, les Vénus, postérieures au culte des animaux, sont le fruit d'une abstraction privilégiant la fécondité comme rapport moteur dominant et la femme comme incarnation de la fécondité ( Lévêque, 1997 ). Le contrôle de la fécondité et l'espacement des naissances sont une nécessité vitale pour les peuples nomades vivant de la chasse et de la cueillette : les enfants sont un poids pour les chasseurs, mais le gibier, et par conséquent sa reproduction, sont vitaux.

Puis, au Néolithique, la Mère de fécondité paléolithique devient Mère de fertilité avec l'apparition de l'agriculture. La femme est capable de donner la vie comme la terre nourricière ( on parle de « Terre Mère » ) est capable de donner les récoltes : les règnes animal et végétal apparaissent alors comme une unité. Les labours et les semailles, qui permettent la fertilité du sol, fécondent la Terre Mère : l'agriculture est un acte sexuel ( comme la chasse au Paléolithique ). Les cycles lunaires restent essentiels, cette fois-ci pour la production agricole. Toutefois, il apparaît une contradiction entre les pouvoirs attribués à la femme dans la fertilité du sol et le fait que l'agriculture soit une activité davantage réservée aux hommes. Mais, au paléolithique, les Déesses Mères régnaient sur la chasse, alors que cette dernière était surtout pratiquée par les hommes. La femme est fortement liée à l'eau, indispensable en agriculture, et elle est surtout la seule capable de transformer le produit agricole « comestible ».

Revenons à présent sur les scènes représentant les étreintes de la Déesse Mère : elles s'insèrent sans doute dans un mythe de l'hiérogamie. L'hiérogamie suppose un partenaire mâle pour la Déesse Mère ( transition vers les sociétés patriarcales ) et un accouplement entre Terre ( femme ) et Ciel ( son partenaire ).

Une étape importante est donc franchie au Néolithique : les activités sociales ( de travail ) sont de plus en plus réservées aux hommes, tandis que les femmes exécutent les travaux domestiques dans la communauté villageoise. Inévitablement, la relation au surnaturel en est modifiée, les divinités reflétant la position des humains au sein de la société ( quelle que soit la religion ). Cette « Révolution néolithique » s'est faite lentement, du Proche-Orient jusque l'Anatolie, l'Europe centrale et aux îles méditerranéennes. Par exemple, le site de Catal Hüyük, en Anatolie ( entre 7200 et 6500 avant J.-C. ) conserve les thèmes du Paléolithique Supérieur : on y trouve des statuettes telles que la « déesse aux panthères » trônant, les mains posées sur deux félins et donnant naissance à un enfant dont la tête apparaît sur elle ( fig. 58 ). Gordon Childe ( d'après Michel, 2003 ) recense trois révolutions : agricole ( néolithique ), puis urbaine, puis industrielle, qui ont amené à une augmentation de la démocratie, de la centralisation politique et du pouvoir des hommes dans l'environnement.

 

3.2.2 - La religion et les rites préhistoriques

 

A travers l'analyse des Vénus, symboles d'une Grande Déesse Mère, nous avons déjà suggéré l'existence d'une religion dès le Paléolithique Supérieur. Celle-ci est matriarcale, les divinités étant féminines et destinées au culte de la fécondité ( animale et humaine ). Puis, au Néolithique, ce culte s'atténue au profit d'une religion de la fertilité, avec l'apparition de l'agriculture, de l'élevage et de la sédentarisation. Ensuite, cette religion se fait progressivement patriarcale : les divinités féminines sont d'abord accompagnées d'un partenaire masculin, lequel va ensuite totalement effacer sa compagne.

Parallèlement, les premières mentions de la sexualité datent de l'époque préhistorique (statuettes féminines au dimorphisme sexuel très prononcé, vulves, phallus, ... ). L'influence de la religion sur la vie sexuelle des individus remonte donc à environ 50000 ans, bien avant l'avènement du christianisme. Le rôle du christianisme était initialement de protéger la famille et la société du vice, en instaurant des tabous sexuels stabilisateurs. Sexualité et reproduction sont distincts dans la religion chrétienne ; la reproduction est encouragée en vue de perpétuer l'espèce humaine, mais la notion de plaisir sexuel est pointée du doigt telle une perversion. Anna Alter, dans un article paru dans Marianne ( du 15 au 21 mars 1999 ; d'après internet 5 ) recense ces tabous sexuels religieux : les questions de la positon au cours de l'acte sexuel de reproduction, du bien ou du mal à pratiquer la masturbation ou la sodomie, la non nécessité du plaisir sexuel, etc... y sont abordées.

Un autre indice en faveur de l'existence d'une religion préhistorique est constitué par l'enterrement des morts ( et du souci du lignage, par conséquent ), notamment au Néolithique. Certains squelettes ont été retrouvés en position foetale, symbole d'une renaissance, ou bien liés, en signe de la crainte du mort ? Des ossements animaux sont également présents au sein des sépultures, témoignant d'actes religieux délibérés ? On peut évoquer une sépulture religieuse lorsque le corps est placé dans une fosse, accompagné d'objets tels que des os ( notamment des dents utilisées comme parures ), des offrandes, ou de l'ocre rouge..., mais sans cela la sépulture ne peut avoir pour unique but que de « mettre de l'ordre ». Même si les indices des sépultures sont peu nombreux, on peut dire de façon quasi-certaine qu'elles existaient au Paléolithique Supérieur ( Leroi-Gourhan, 1964 ). Les découvertes de cercles de crâne de mammouths sont nombreuses en Ukraine et en Russie, mais l'on peut difficilement y voir un rituel : ce ne sont probablement que des débris alimentaires d'hommes paléolithiques disposés autour d'un feu central. Les preuves apportées à un éventuel culte de l'ours sont également très minces ( ibid. ). D'autre part, on ne possède qu'un seul crâne du Paléolithique Supérieur qui aurait été préparé afin de servir de trophée ou de relique ( au Mas-d'Azil, culture magdalénienne ) : il s'agit d'un crâne de jeune femme, privé de mandibule ; au niveau des orbites, on trouve à l'intérieur deux plaquettes d'os taillées simulant les yeux ; d'autres os ont été retrouvés peints. Par ailleurs, l'existence d'un cannibalisme religieux au Paléolithique est vraisemblable, mais indémontrable par l'archéologie et l'ethnologie ( ibid. ). Nous nous heurtons donc une fois de plus à la difficulté de confrontation des indices archéologiques aux hypothèses des scientifiques, mais celle de l'existence d'une religion dès le Paléolithique Supérieur est aujourd'hui fréquemment reconnue, tout comme l'est par conséquent la reconnaissance de la conscience de l'homme à cette même époque. Van Gennep ( d'après Taylor, 1996 ) admet en outre l'existence de rites de passage, c'est-à-dire de rites qui marquent une transition dans la vie humaine, et notamment de rites de passage à la mort. Les sépultures attestées au Paléolithique Supérieur en sont la preuve. Mais Van Gennep suggère aussi l'existence de rites de passage lors de la naissance ; la tombe de Dolni Vestonice ( fig. 59 ) en serait un exemple : elle contient les squelettes de deux hommes et une femme dont la composition simule une naissance se déroulant mal ( un problème congénital a été relevé chez la femme au niveau des hanches ). Quoi qu'il en soit, cette tombe exprime une transgression sexuelle par rapport à la naissance, du fait de la position des hommes : le personnage de gauche regarde et dirige ses mains entre les cuisses de la figure centrale, là où l'on trouve une large tache d'ocre rouge, sans doute rituelle ; il est traversé par un morceau de bois du pubis au coccyx. Le personnage du milieu détourne son regard vers la figure de droite qui regarde ailleurs et dont le corps recouvre en partie celui du centre.

Les peintures, gravures et sculptures dans l'art paléolithique peuvent, de même, être interprétées comme des objets destinés à des rites de passage de jeunes gens à l'âge adulte. Et dans l'hypothèse où cet art est pratiqué par les hommes et dissimulé aux femmes ( hypothèse la plus couramment émise ), ces représentations seraient à but initiatique vers la vie adulte.

 

3.3 - Une lecture symbolique et sexuelle des représentations d'art paléolithique...

 

3.3.1 - ... à travers les signes

 

Leroi-Gourhan s'est attaché à l'analyse des diverses représentations pariétales que nous ont laissées les hommes paléolithiques. Parmi ces représentations, nous avons mentionné celles d'animaux, d'humains, mais également de signes. Et ce sont ces signes, c'est-à-dire des figures plus ou moins géométriques, peintes ou gravées, qui présentent la plus grande complexité d'interprétation. Ils ont souvent été pris pour des huttes, des pièges, des rames, ... Puis on les a classifié en catégories : les signes pleins ( exemple : les quadrilatères ), les signes minces ( exemple : les lignes de points ) et les ponctuations. Leur signification, leur rôle et le rapport entre ces figures sont encore mal élucidés. Certains sont isolés, d'autres associés ou superposés à des figurations animales... ( Leroi-Gourhan, 1964 ).

Les signes sont très nombreux et sont présents dans toutes les cavernes. Leroi-Gourhan les a répartis en deux groupes :

+le groupe α qui inclus les signes allongés ( tirets, bâtonnets, lignes de points ) ;

+et le groupe β qui inclus les signes pleins ( ovales, triangles, rectangles, accolades, ... ).

Ces signes ont une répartition chronologique précise ( fig. 60 ). Selon les époques, on identifie : des symboles vulvaires, des bâtonnets, des points..., parfois traités de façon réaliste, parfois de façon abstraite. Il semblerait, quoi qu'il en soit, qu'ils représentent des symboles sexués, fréquemment représentés à la différence des caractères sexuels primaires ou des scènes d'accouplement ( ibid. ). Leroi-Gourhan insiste également sur le fait que ces signes sont « couplés et non accouplés » : un signe α plus un signe β ; ou un signe plus un animal. Dans l'art paléolithique, il y a un thème binaire qui associe le cheval au bison ou au bœuf sauvage ; et ce thème animalier est doublé par celui des signes obéissant aussi à un système binaire et qui représente des symboles féminins et masculins ( figures ovales, triangulaires, claviformes, ... dérivées de la femme ; et bâtonnets, séries de points, ... dérivés de l'homme ; fig. 61 ). Animaux et signes appartiennent à un même système religieux et leur système binaire de répartition est centré sur « l'opposition, l'alternance et la complémentarité des valeurs masculines et féminines » ( Leroi-Gourhan, 1964 ). Il serait possible que les signes géométriques présents sur les œuvres mobilières soient avant tout ainsi dans un but utilitaire, pratique, afin de modéliser les dents de scie des armes, etc..., alors que la géométrisation au niveau des œuvres pariétales serait à but symbolique, ésotérique, dans le but d'évoquer une connotation féminine ou masculine. On peut encore suggérer une finalité économique pour expliquer l'abréviation des traits pariétaux : en effet, les figurations sont réalisées à plusieurs kilomètres de l'entrée de la grotte, ce qui impose d'en réduire l'exécution à un minimum de temps et de consommation des colorants...

 

3.3.2 - ... à travers l'organisation des symboles au sein des grottes

 

Une analyse structurale de la grotte a permis à Leroi-Gourhan d'aboutir à plusieurs constatations qui intègrent ces symboles dans un véritable « culte de la fécondité ». D'une part, les symboles, abstraits ou réalistes, représentant des symboles féminins ou masculins, placent la grotte, sorte de cavité utérine, sous le signe de la bipolarité sexuelle. D'autre part, les animaux les plus représentés, à savoir bisons et chevaux, ne sont pas interchangeables, mais les uns incarnent le sexe féminin, les autres le sexe masculin. Mais cette théorie est très fortement discutée : comment un animal, quel que soit son sexe, incarne-t-il un sexe ou bien l'autre ?... Ainsi, au centre des cavernes-sanctuaires, il y a agrégation de symboles masculins autour de symboles féminins ; ailleurs, « les représentations mâles étaient exclusives, complémentaires, semble-t-il, de celles de la cavité souterraine elle-même » ( Leroi-Gourhan, 1964 ). Après Max Raphaël et Annette Laming-Emperaire, Leroi-Gourhan est donc apparu comme le grand démystificateur en s'orientant vers une lecture d'un « système symbolique ». La caverne entière, son espace même, son organisation complexe, peut être déchiffrée comme un texte ; et il ne s'agit plus de traduire chaque figure en l'isolant du reste de la grotte. La grotte elle-même, par sa forme et ses artefacts naturels ( stalactites, cavités naturelles, formes liées à l'érosion, entrée par une fente, ... ) évoque un symbolisme sexuel. Cette analyse de l'art paléolithique tend vers la conception freudienne du rêve : « Les murs auxquels on se laisse glisser [...] représentent des corps d'hommes debout » ; et à l'inverse les lieux fermés, étroits ( chambres, cavernes par analogie ) symboliseraient le corps féminin. Mais des rêves de l'homme paléolithique, nous ne connaîtrons jamais que leur contenu manifeste, c'est-à-dire leurs représentations artistiques, - jamais leur contenu latent. En psychanalyse, on peut s'appuyer sur la parole du patient, mais l'art paléolithique ne nous permettra jamais de retrouver la parole de ses concepteurs - si sous une quelconque forme elle a existé.

Les signes correspondent à des mots et sont des « marqueurs de société », ils sont propres à une région ( au sein d'une même culture ) ; l'homme donne à chaque signe un sens, ce qui réalise un codage ( Vialou, 1996 ).

Si, finalement, on admet la structure binaire de l'art paléolithique, qui traduit la différence des sexes, quel est précisément le sens de cette dualité ? Quels types de relations symbolise-t- -elle ? L'interprétation du couplage entre signes et animaux a donné lieu à celle de la représentation de systèmes d'alliances matrimoniales... Cette approche, qui déplace le réalisme au symbolisme des représentations sexuelles, permet de voir non plus seulement une différence anatomique entre les sexes, mais un véritable système de pensée et de culture paléolithique, complexe.

 

3.3.3 - Un « univers symbolique » ( Vialou, 1996 )

 

Le corps, objet des premières représentations paléolithiques, est placé au centre de l'« univers symbolique », c'est « le premier support de la symbolique » ( ibid. ) : il porte le vêtement, les parures ( perles, pendeloques,... ), jusque dans les sépultures. Même certaines statuettes féminines, nues, sont parées. Et ces parures portent souvent des représentations du corps, notamment des signes vulvaires ou phalliques.

On peut en outre parler, au Paléolithique, d'un autre sens du mot corps : le corps d'artistes, doué d'un véritable savoir-faire. L'art pariétal n'a rien de hasardeux ; il résulte d'une démarche symbolique, pensée, réfléchie par les hommes ( et femmes ) paléolithiques. En effet, cet art du fond des grottes, qui est pratiqué dans l'obscurité ( avec un éclairage sommaire à l'aide de lampes naturelles en calcaire ), à l'abri du quotidien et des regards, implique nécessairement une intériorisation de la part des artistes.

Remarque : Au Magdalénien, les grottes pouvaient atteindre plusieurs kilomètres de développement : Niaux, 2,5 km ; Rouffignac, 10 km ! L'art solutréen fait exception dans le sens où il est souvent pratiqué en plein air ( sculptures en bas-reliefs ).

Chaque culture de la Préhistoire a défini son propre art, et à l'intérieur de chaque culture existent plusieurs formes d'art. Malgré tout, on retrouve les mêmes grandes thématiques, bien que pas toujours aux mêmes endroits et en même quantité. La thématique figurative représente essentiellement l'animal. Celui-ci est vu de façon réaliste par l'homme chasseur. Quant aux représentations humaines, plus rares, elles déforment toujours l'homme qui est, soit caricaturisé, soit segmenté ( main, sexe, ... ). Il y a donc une opposition entre l'homme, représenté subjectivement, et l'animal, représenté objectivement. L'homme est nu, sans histoire propre, sans identité, il est « travesti subjectivement ». Mais ni homme, ni animal, ne sont entourés de paysages les situant.

La seconde thématique, celle des signes, abstraits, rassemble : les points, lignes, tirets, barbelés, rectangles, tectiformes, concentriques, etc... Fait étonnant, certains animaux présentent des signes sur leur corps : il y a là association, et même « symbiose », entre l'art figuratif et les représentations abstraites, ce qui justifie le terme d'« art symbolique »..

Finalement, l'art des cavernes réunit des hommes - étranges -, des animaux - magnifiques -, et des signes très nombreux et éparses. Cette union n'est probablement pas fortuite, mais il s'agirait de messages codés, volontaires ( codage de mythes ). Les premières représentations de l'art paléolithique ont fait de lui un art magique ( magie de la fécondité, ... ) et homogène. Puis, Leroi-Gourhan, dans les années soixante, a soutenu la thèse d'une construction non aléatoire des grottes, de structures répétitives. Dans les années quatre-vingt, Vialou s'interroge : pourquoi ces théories auraient été valides des milliers d'années, sans en changer ? Les codes ont évolué et sont propres à chaque culture. Et rappelons-nous que pour l'homme préhistorique, le but de ces figurations n'était peut-être pas artistique, mais tout simplement esthétique ; que la notion d'« art » n'est peut-être qu'une projection de l'homme moderne sur les graphies préhistoriques...

 


 

  Pour les étudiants intéressés signalons que deux mémoires du CSBM ont été consacrés aux théories de l'évolution :

 

  Perrin (L.), 2002. L'histoire de l'évolution : de la bible à la théorie synthétique (mémoire n° 74 / Résumé html )

 

 Veron (A.), 2005. Remise en cause du darwinisme à partir de trois confrontations exemplaires : religieuse ( créationisme aux Etats-Unis),  culturelle (le darwinisme social) et scientifique (l'avancée des découvertes) ( mémoire n° 168 / Résumé html )

 

 

 

 

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