PALEOBIOS, 20 / 2018 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / ISSN 2259-986X

 

Avancées scientifiques modernes, à la lumière des données actuelles de la démarche diagnostique en paléopathologie, sur un crâne égyptien prédynastique de Rôda , conservé au Musée des Confluences de Lyon  (sous le numéro 30000368) et ayant fait l'objet d'une grave polémique entre Charles-Louis Lortet et Ernest Chantre au début du XX° siècle.


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                                                                                                                                                                                                  Annie Perraud 1-2, Michel Billard 2, Roger Lichtenberg 3, Raoul Perrot 2, Cathy Vieillescazes 4

 

1 UMR 5140 : Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, Équipe Égypte Nilotique et Méditerranéenne - Université Paul-Valéry - Montpellier 3

2 Laboratoire d’Anthropologie Anatomique et de Paléopathologie de Lyon

3 Ancien Chef du service de Radiologie de l’Institut Arthur Vernes, à Paris 6e

UMR IMBE, Ingénierie de la restauration des patrimoines naturel et culturel, Avignon Université/CNRS/IRD/ Aix -Marseille Univ.

5 Contact : annieperraud@aol.com

Ce travail a bénéficié du soutien du LabEx ARCHIMEDE au titre du programme "Investissement d’Avenir" ANR-11-LABX-0032-01. Projet Human Egyptian LYon COnfluences Mummies (HELYCOM) - Mourir pour renaître, sous la direction du Pr Marc Gabolde

Iconographie : © HELYCOM-Mourir pour renaître /Annie Perraud

Résumé : Le crâne d’une jeune femme, découvert sur la nécropole égyptienne prédynastique de Rôda par Lortet, a été l’objet de nombreuses polémiques entre scientifiques, au début du XXe siècle. L'objet de cet article est, après avoir effectué une étude anthropologique détaillée, de rassembler les divers documents générés par l'interprétation des lésions osseueses et de tenter une démarche diagnostique à la lumière des connaissance actuelles.

Mots-clés : Égypte prédynastique, nécropole de Rôda, anthropologie, radiologie, endoscopie, analyse chimique, paléopathologie, syphilis, Lyon Musée des Confluences, Charles-Louis Lortet, Ernest Chantre, début du XXe siècle.

Abstract: Modern scientific advances, in the light of actual data of the diagnostic approach in palaeopathology, on an Egyptian predynastic skull of Roda, preserved at the Confluences Museum of Lyon (under number 30000368) and being the subject of a serious controversy between Charles-Louis Lortet and Ernest Chantre in the beginning of the XXth century.

The young woman’s skull, found in the Egyptian predynastic necropolis of Rôda by Lortet, was the subject of several controversies between scientists, at the beginning of the XXth century. The subject of this paper, after carried out a detailed anthropological analysis, is to collect the various documents created by the interpretation of the osseous lesions and to try a diagnostic approach in the light of the actual knowledges.

Key-words: Predynastic Egypt, necropolis of Rôda, anthropology, radiology, endoscopy, chemical analysis, palaeopathology, syphilis, Lyon Confluences Museum, Charles-Louis Lortet, Ernest Chantre, beginning of the XXth century

 

1-Introduction

La collection d’Ostéologie du Centre de Conservation et d’Étude des Collections (CCEC) du musée des Confluences, à Lyon, possède le crâne d’une jeune femme égyptienne inventorié sous le numéro 30000368. Ce crâne appartient à la collection rapportée d’Égypte par le Dr Charles-Louis Lortet, en 1907. Il a été découvert à Rôda, en Haute-Égypte, dans une nécropole ancienne d’où proviennent deux momies 1 datant du prédynastique (5500-3300). Une étiquette indique : Jeune fille de 20 à 24 ans Rôda n° 1 Lortet 1907. Une inscription apposée sur le côté droit du crâne indique : Rôda (n° 1) Près Médamout Dr Lortet 1907 Hte-Égypte.

La querelle qui opposa Ch.-L. Lortet et E. Chantre2 pendant une année sur deux points précis 3 - l’ancienneté du crâne et l’origine pathologique des lésions qu’il présentait - tourna au règlement de compte et vit l’exclusion des deux protagonistes des postes qu’ils occupaient au muséum d’Histoire naturelle de Lyon.

Ce crâne est isolé de tout autre vestige anatomique. Le projet de recherche Human Egyptian LYon COnfluences Mummies (HELYCOM) - Mourir pour renaître a permis de reprendre l’étude initiale de ce crâne, à la lumière des connaissances scientifiques actuelles.

 

2- Matériel 

Le crâne de Rôda, objet de l’étude présentée aujourd’hui dans cet article, est conservé (sous le numéro d’inventaire 30000368) au Centre de Conservation et d’Etude des Collections (CCEC) du Musée des Confluences de Lyon. Avant d’aborder les résultats des recherches modernes présentées dans cet article il est important de rappeler l’historique de l’étude de ce crâne, qui met bien en valeur les polémiques soulevées, à l'époque, à la fois par la datation et par l'interprétation des lésions de la table externe de ce crâne!

Le Pr Charles-Louis Lortet, premier doyen de la faculté de Médecine de Lyon et conservateur du muséum d’Histoire naturelle de Lyon 4 , a réalisé des fouilles en Haute-Égypte 5 , à Rôda, située au nord de l’actuelle Louqsor, et Gébelein 6 . Son collaborateur, l’anthropologue Ernest Chantre 7 , a, lui-même, réalisé des fouilles à Khozan 8 , située au nord de Rôda. Ces trois nécropoles sont datées de l’époque prédynastique. Lortet et Chantre ont, tous deux, constitué la plus grande partie de la collection de momies du musée de Lyon.

Lors de la séance du 9 novembre 1907 de la Société d’Anthropologie de Lyon 9 , Lortet expose le cas d’un crâne féminin, découvert dans la nécropole prédynastique de Rôda, en Haute-Égypte. De ce crâne qu’il pense atteint de lésions syphilitiques, il donne une description détaillée (cf. Annexe). L’ancienneté de ce crâne de Roda est rapidement contestée par Ernest Chantre, qui date cette nécropole de l’Ancien Empire (IVe dynastie). Le Bulletin de la Société d’Anthropologie de Lyon va être le témoin d’un échange écrit entre les deux protagonistes, tous deux membres de la Société 10 . À l’issue de cette affaire, ils seront tous deux exclus de la Société d’Anthropologie de Lyon.

Le crâne a été découvert isolé dans une fosse emplie de sable, au milieu de plusieurs vases funéraires, sans mandibule, ni autre élément du squelette. « À Rôda, dans une des tombes fouillées par nous et absolument semblable aux autres, nous avons trouvé pour tout ossement humain un crâne de jeune femme présentant avec certitude les caractères de la race égyptienne le plus pure. Il est très dolichocéphale, un peu asymétrique, le pariétal gauche et la partie gauche de l’occipital étant repoussés en arrière, de telle sorte que l’axe antéro-postérieur du trou occipital ne correspond plus en ligne droite avec la suture palatine, la partie crânienne postérieure étant tout entière déjetée vers la gauche. Ce crâne appartient à une jeune femme de vingt à vingt-trois ans, les deux dents de sagesse se montrant à peine à l’ouverture de leurs alvéoles. Il présente sur toute sa superficie une altération osseuse extrêmement remarquable, dont la nature syphilitique ne peut laisser aucun doute. … le pariétal gauche est profondément attaqué par une ulcération serpigineuse, irrégulièrement circonvoluée, ayant fait disparaître entièrement le feuillet externe de l’os, tandis que dans certains endroits le feuillet interne, attaqué à son tour, a permis de véritables perforations, établissant des communications directes avec l’extérieur et la cavité crânienne 11 ». D’autres lésions voisines présentent une perforation complète du diploé et de la table interne. La description se poursuit : « Le pariétal droit est moins profondément attaqué que le gauche ; cependant, il est déjà couvert de taches dépolies, dont quelques-unes, déjà ulcérantes, ont pénétré dans l’intérieur du diploé comme l’aurait fait une vrille, en trouant la table externe. L’occipital présente le même travail pathologique, surtout dans sa partie supérieure. … Le frontal porte au côté gauche des érosions multiples dont une seule traverse la table externe. … Tous les os de la base du crâne sont intacts, les dents sont saines et ne présentent point les lésions spéciales qu’on a constatées quelquefois chez les syphilitiques par hérédité 12 ».

Le crâne a fait l’objet d’examen par plusieurs membres des sociétés de Médecine de Paris et de Lyon, dont le Pr Poncet 13 , ayant proposé un diagnostic de tuberculose. Lortet précise : « L’état de jeunesse du sujet et la nature des érosions osseuses qui ont en quelque sorte raboté la table externe des os, tout en laissant à nu des étendues considérables de diploé, font penser à mon éminent collègue, le professeur Poncet, que la malade en question pourrait avoir été tout simplement tuberculeuse, et qu’elle devait porter dans la région crânienne des abcès froids multiples, qui partout ont aminci les os lorsqu’ils ne les ont pas perforés, tandis que l’infection syphilitique aurait dû les épaissir au moins sur la périphérie des lésions14 ». Lortet, cependant, constate l’absence d’un élément précis pour confirmer le diagnostic de syphilis. Il indique : « La syphilis, croyons-nous, devrait être surtout en cause, et cependant, il manque un des caractères les plus importants que l’on peut presque toujours rencontrer sur les lésions osseuses de cette nature : ce sont les exostoses circonvoisines, les digues en quelque sorte, formées par du tissu osseux compact … » 15 . Lortet, cependant, précise : « Malgré l’absence de ce caractère, les lésions sont si semblables, quant à la forme, à ce que l’on peut constater dans certains cas de syphilis invétérée, que nous ne pouvons nous empêcher de croire que c’est à cette infection spécifique que nous avons affaire sur ce crâne de Rôda. Les exostoses n’ont probablement pas eu le temps de se produire chez cette jeune femme, qui a dû mourir rapidement 16 ».

Il est précisé par le Pr A. Lacassagne, secrétaire de séance : « Mais, à l’Académie de médecine, MM. Fournier, Bouchard et beaucoup d’autres ont nettement affirmé la syphilis 17 ». Le médecin Daniel Fouquet, auteur de l’annexe Recherches sur les crânes de l’époque de la pierre taillée en Égypte inclus dans l’ouvrage de Jacques de Morgan 18 , Recherches sur les origines de l’Égypte19 , avait identifié des lésions osseuses post-mortem liées à l’activité des insectes, mais avait qualifié celles présentées par trois cas de « syphilitiques ».

Le Pr Michel Gangolphe de Lyon a émis son avis dans un article paru l’année suivant la publication de celui de Lortet. Il indique que les lésions syphilitiques ont pour site de prédilection le frontal, mais apporte une critique au travail de Fouquet 20 et de Lortet : « Peut-on observer des altérations osseuses pathologiques, sans qu’il y ait une réaction inflammatoire, un travail de défense 21 ?»   Il précise ensuite : « Je ne connais qu’une variété d’agents infectieux capable d’attaquer et de détruire même le squelette sans qu’il y ait un processus de défense périostique ou médullaire : je veux parler des hydatides des os … » 22 .  Ce n’est cependant pas le cas, pour ce crâne. Enfin, dans un article écrit en 1912, il déclare : « … ce sont des altérations post mortem produites par des insectes 23 ».

Grafton Elliot Smith, célèbre anatomiste australien, égyptologue et anthropologue, ayant étudié les momies royales égyptiennes, enseignait l’anatomie à l’école de médecine du Caire. Au cours de plusieurs campagnes de fouilles du Hearst Egyptian Expedition de l’université de Californie, sous la direction du Dr G. A. Reisner 24 , il a eu l’occasion d’examiner plusieurs centaines de squelettes à Naga ed-Deir, en Haute-Égypte. Reisner avait observé la présence de ce type de lésions sur la face inférieure des os reposant sur le sol, qu’il qualifiait de « worm-eaten bones ». Selon Elliot Smith, les lésions osseuses étaient liées à l’activité de scarabées et de leurs larves. Il récusait l’opinion du Dr Fouquet, selon lequel les lésions retrouvées étaient d’origine syphilitique. Le Pr Flinders Petrie 25 , célèbre égyptologue britannique, avait découvert des lésions similaires sur de nombreux ossements (os longs) préhistoriques qu’il avait qualifiées de traces de cannibalisme 26 . Dans son article paru dans The Lancet 27 sur la prétendue découverte de la syphilis, G. Elliot Smith indique : « But recently a distinguished French scientist has lent the weight of his great reputation to the rehabilitation of Fouquet’s error and has given wide publicity to a description of supposed syphilitic ulceration on Prehistoric Egyptian crania which anyone who has studied the damage done by beetles cannot fail to recognise as such. »

Pour G. Elliot Smith et al., il s’agit d’un « cas supposé de syphilis ». « Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de doute, désormais, que les ravages décrits par le professeur Lortet et le Dr Fouquet comme résultant de la syphilis, ont été produits, en réalité, longtemps après la mort et la sépulture, et que ces ravages sont dus à des insectes 28». Les auteurs concluent : « C’est pourquoi, nous devons nous borner à dire, qu’autant qu’il est possible d’en juger par nos connaissances actuelles, la syphilis n’apparaît en Égypte qu’au moment où la communication avec l’Europe s’est établie 29 »

Dans un ouvrage ultérieur, Egyptian Mummies, G. Elliot Smith et W. R. Dawson indiquent : «  No true case of rickets or of syphilitic disease has been found in any ancient Egyptian remains. The much debated problem of the occurrence of syphilis was discussed by one of us in The Lancet of August 22, 1908, where it was shown that there was no evidence whatever of any syphilitic injuries to the bones, nor anything even remotely resembling syphilitic injuries to the teeth 30 »

L’appartenance de la nécropole de Rôda à la période prédynastique a été reconnue dès le début du XXe siècle, et ce, contrairement aux assertions d’Ernest Chantre, l’égyptologue Victor Loret 31 étant venu apporter son soutien à Ch.-L. Lortet, avec lequel il travaillait en collaboration depuis plusieurs années. En effet E. Chantre mettait en doute l’ancienneté de la nécropole de Rôda par rapport à celle de Khozan sur laquelle il avait fait des fouilles et qu’il datait des trois premières dynasties 32. Selon lui, le site de Rôda datait de l’Ancien Empire (IVe dynastie). V. Loret indique, avec pertinence, en conclusion de sa lettre : « Ces deux nécropoles n’en sont pas moins incontestablement préhistoriques, malgré l’affirmation contraire de M. Chantre, et les renseignements nombreux qu’a donnés M. Lortet, dans la Troisième série de sa Faune momifiée, sur le mode d’ensevelissement et sur la position des cadavres observés par lui dans ces localités, ne font qu’ajouter des arguments nouveaux en faveur de la date qu’il a assignée aux cimetières de Rôda et Khozan 33 » Sur le plan chronologique, le site de Rôda serait postérieur à celui de Khozan, mais tous deux appartiennent à la période prédynastique.

3 – Méthodes d’étude

L’étude du crâne de Rôda, présentée dans cet article, a fait appel aux 5 disciplines suivantes :

  • Anthropologie [description morphologique des 5 normae du crâne et craniométrie]
  • Radiologie  [clichés réalisés avec une unité de radiologie mobile, système GM 85 de la société Samsung, par capture d’images numériques]
  • Endoscopie [examen effectué avec un rhino-laryngoscope Olympus, de type ENF-GP]
  • Analyse chimique [chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse (CPG-SM)]
  • Paléopathologie [description des lésions osseuses présentes sur le crâne]

4 – Résultats

4.1 – Anthropologie

Le crâne de Rôda est réduit à un calvarium : en effet la mandibule est malheureusement absente ce qui ne permet pas de calculer l’indice facial total ni de connaître la forme de la bouche et plus particulièrement de la lèvre inférieure (cf. Phénotype cutané). Les citations (intégrées en italiques dans le texte) sont extraites du travail de Lortet (cf. Annexe)

4.1.1- Crâniométrie (cf.Tableau de synthèse)

Norma verticalis (NV)

Fig. 1 : Norma verticalis

  • Crâne allongé DOLICHOCRANE (ICH de 73.71 soit A) de forme ovopentagonoïde : « Il est très dolichocéphale, un peu asymétrique, le pariétal, gauche et la partie gauche de l'occipital étant repoussés en arrière »
  • Zygomas non visibles (MESOPHENOZYGES = IFZ de 91.89)
  • Sutures coronale et sagittale non synostosées (cf. Âge)
  • Importante lésion sur le pariétal gauche (cf. Paléopathologie)

Norma facialis (NF)

Fig.  2 : Norma facialis,

  • Voûte étroite (ACROCRANE) (IT au basion de 103,10 soit a) (IT au porion de 92,25 soit a) « avec un sommet en forme de double toit incliné tendant à une légère scaphocéphalie »
  • Front étroit (STENOMETOPE) (IFP de 64.34)
  • Crêtes frontales intermédiaires (IFF de 81.37)
  • Face supérieure ETROITE (LEPTENE = IFS de 59.37 soit 1)
  • Orbite moyenne (MESOCONQUE = IO de 78.72 soit 2)
  • Rebord orbitaire supérieur très aigu (cf.  Sexe)
  • Ouverture nasale moyenne (MESORHINIENNE = IN de 48.22 soit 2) (cf.  Phénotype cutané). Les cornets sont présents dans les fosses nasales, la cloison nasale est en partie conservée. Le vomer est intact.

         

Norma lateralis (NL)

Fig. 3 : Normae lateralis gauche et droite

  • ·      Voûte haute (HYPSICRANE) (IV au basion de 76 soit a) (IV au porion de 68 soit a)
  • ·      Absence d’une partie de l’écaille temporale gauche disparue dans le sol
  • ·      Front bombé, sub-vertical, zone glabellaire totalement estompée (cf.  Sexe)
  • ·      Maxillaire ORTHOMESOGNATHE (74°) (cf.  Phénotype cutané)

 

Norma occipitalis (NO)

 

Fig. 4 : Norma occipitalis (NO)

  • Importantes lésions sur le pariétal gauche (cf.  Paléopathologie)
  • Plans pariétaux convergents vers la base du crâne
  • Bosse pariétale droite plus marquée que celle gauche
  • Sutures (cf.  Âge) :

o   Sagittale non synostosée

o   Lambdoïde droite non synostosée

o   Lambdoïde gauche en voie de synostose sur son segment L1/L2 . Deux wormiens  : un tombé post-mortem

              

Norma basilaris (NB)

Fig. 5 : Norma basilaris

  • Arcade zygomatique gauche brisée en son milieu
  • Foramen magnum dont l’axe AP est légèrement dévié vers la gauche « …l'axe antéro-postérieur du trou occipital ne correspond plus en ligne droite avec la suture palatine, la partie crânienne postérieure étant tout entière déjetée vers la gauche ».
  • Palais en excellent état
  • Denture maxillaire présentant à décrire :

o   Absence du bloc incisivo-canin (11/12/13 – 21/22/23) à laquelle s’ajoute la perte de la première prémolaire gauche (24) : ces dents sont tombées ante-mortem ainsi que le montre le bon état des alvéoles

o   Inclusion des molaires 18 et 28 (dents de sagesse)

o   Les 7 dents présentes montrent une surface occlusale non abrasée ainsi que l’absence de toute carie

o   Cf.  Âge

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Formule crânienne (FC)

 A/a/a//1/2/2 : on notera l’harmonie des 3 indices du neurocrâne (A) et de la face supérieure (1). Les deux autres indices du splanchnocrâne sont à peine dysharmoniques (2).

4.1.2 – Sexe

  • Rebord orbitaire supérieur très aigu (cf. NF)
  • Front bombé, sub-vertical, zone glabellaire totalement estompée (cf. NL)
  • Capacité crânienne de 1280.39 cc à la limite femme/homme
  • Sexe féminin

4.1.3 – Age

  • Sutures coronale et sagittale non synostosées (cf. NV)
  • Inclusion des molaires 18 et 28 (dents de sagesse). Les 7 dents présentes montrent une surface occlusale non abrasée (cf. NB)
  • Individu âgé d’une vingtaine d’années: « Ce crâne appartient à une jeune femme de vingt à vingt -trois ans, les deux dents de sagesse se montrant à peine à l'ouverture alvéolaire »

4.1.4 – Phénotype cutané

« Au premier coup d'œil, et sans tenir compte des mensurations on peut affirmer que les crânes de Rôda sont de dimensions très voisines de ceux trouvés à Négadah, à Kawamil et étudiés par le Dr Fouquet »

  • Crâne allongé : « crâne de jeune femme, présentant avec certitude tous les caractères de la race égyptienne ancienne la plus pure. Il est très dolichocéphale (…) Les crânes des anciens Coptes du cimetière d'Assouan sont notablement plus dolichocéphales que les crânes de la période thébaine »
  • Voûte haute et étroite : « Les crânes des anciens Coptes du cimetière d'Assouan sont notablement plus dolichocéphales que les crânes de la période thébaine (…) les crânes de Rôda et d'Assouan ont une hauteur basilo-bregmatique bien plus forte, comparativement au diamètre transverse maximum, que les crânes égyptiens de la période thébaine. A un faible diamètre transverse correspond le plus souvent une grande hauteur basilo-bregmatique, et inversement. Ces variations, dans un sens ou dans l'autre, amènent toujours un système de compensations (…) les crânes étroits, qui sont ceux de Rôda et du cimetière d'Assouan, sont le plus fréquemment étroits, hauts ou hypsicéphales, avec un sommet en forme de double toit incliné tendant à une légère scaphocéphalie »
  • Face supérieure étroite
  • Orbite moyenne
  • Ouverture nasale moyenne : le rebord inférieur de l’échancrure nasale n’est pas aigu (caractère leucoderme) mais plutôt arrondi et mousse (caractère mélanoderme)
  • Maxillaire ORTHOMESOGNATHE : légère tendance vers le prognathisme (caractère mélanoderme).

Il est intéressant de rappeler la conclusion de Lortet concernant la « raciologie » de la jeune femme de Rôda : « On peut donc conclure de ces faits qu'à une époque très éloignée, mais indéterminable jusqu'à aujourd'hui, une ancienne race habitait , les bords du Nil, dans ces parages de la Haute Egypte, à Kawamil, Guebel Silsiléh, Khozam, Rôda, et aussi dans beaucoup d'autres localités où j'ai constaté la présence de tombes préhistoriques ; de ces peuplades, probablement autochtones, les plus anciennes connues jusqu'à ce jour, sont descendus les Coptes de la Haute Egypte, car, d'après tout ce qu'il nous a été possible de constater, les Coptes habitant la région d' Assouan et de Luxor ressemblent encore d'une façon frappante, par l'ossature de leur crâne, aux squelettes découverts par nous dans les tombes de Rôda. Cela tendrait encore à prouver ceci que, les anciens Egyptiens, qui, du reste, ne présentent nullement les caractères propres aux Asiatiques, ne sont point venus d'Asie, mais qu'ils forment bien une race primordiale autochtone née en Afrique, avec des caractères africains manifestes : prognathisme plus ou moins prononcé, dolichocéphalie bien marquée, tendance à la scaphocéphalie, et, enfin, chez le vivant, grosses lèvres retournées, nez court fréquemment épaté  »

Concernant l’ouverture nasale de notre sujet féminin elle n’a pas la largeur classique des groupes mélanodermes. De plus l’absence de la mandibule ne permet pas de déterminer la forme globale de la bouche et tout particulièrement celle de la lèvre inférieure mais il est vraisemblable  que ses lèvres étaient peu épatées! Cependant l’ensemble des caractères anatomiques et métriques du crâne de Rôda milite en faveur d’un individu féminin exprimant un phénotype métissé leuco-mélanoderme ce qui correspond bien à la formule crânienne A/a/a//1/2/2 ( pour une mélanoderme totalement harmonique on aurait eu A/a/a// 1/2/3).

Tableau de synthèse de la craniométrie

Paramètres et indices pris en compte

Valeurs (en mm)

Longueur max. AP crâne :  glabelle - opisthocranion (G-Op)

175

Largeur crâne : euryon D-euryon G (Eu-Eu)

129

Crâne allongé DOLICHOCRANE (ICH de 73.71 soit A)

Hauteur crâne : basion-bregma (B-B)

133

Hauteur crâne : basion-porion (B-P)

119

Voûte haute (HYPSICRANE) (IV au basion de 76 soit a) (IV au porion de 68 soit a)

Voûte étroite (ACROCRANE) (IT au basion de 103,10 soit a) (IT au porion de 92,25 soit a)

Diamètre bizygomatique (largeur de la face) (Z-Z)

111

Hauteur supérieure de la face : nasion-prosthion (N-Pr)

65,9

Face supérieure ETROITE (LEPTENE = IFS de 59.37 soit 1

Largeur de l’orbite : maxillo-frontal / ectoconchion (MF-Ec)

39,19

Hauteur orbite

30,85

Orbite moyenne (MESOCONQUE = IO de 78.72 soit 2)

Hauteur du nez (N-NS)

47,14

Largeur nez

22,73

Ouverture nasale moyenne (MESORHINIENNE = IN de 48.22 soit 2)

Largeur frontale maximum

102

Largeur frontale minimum

83

Front étroit (STENOMETOPE) (IFP de 64.34) avec des crêtes frontales intermédiaires (IFF de 81.37)

Triangle de Rivet construit à partir des trois points craniométriques suivants : prosthion (Pr) / nasion (N) et basion (B). Le dessin de ce triangle permet de mesurer directement l’angle de prognathisme (angle N.Pr.B).

Pr-N

60,05

N-B

98

B-Pr

96

Maxillaire ORTHOMESOGNATHE (74°)

 

 

4.2 - Radiologie

Les clichés ont été réalisés avec une unité de radiologie mobile, système GM 85 de la société Samsung, par capture d’images numériques.

                     Fig. 8 : Radiographie de face

                                   Fig. 9 : Radiographie de profil

Fig. 10 : Radiographie basilaire ( incidence de Hirtz)

 

  • La radiologie [incidences face (nez-front, orbites vides), profil, basilaire (Hirtz)] vient confirmer l’anthropologie :  crâne dolichocrâne d’une jeune femme âgée d’environ 20 ans (sutures crâniennes et état dentaire) (§ 4.1) 
  • En incidence axiale la partie postérieure du crâne au niveau de l’occipital est asymétrique, la fosse postérieure étant nettement plus développée à gauche qu’à droite. Cette observation, non exceptionnelle, traduit seulement le fait que le sujet était droitier.
  • Les sinus frontaux sont de développement modéré.
  • On observe quelques pertes de substance osseuse, sans doute en rapport avec l’ancienneté du crâne, de même on observe plusieurs images denses de petite taille, probablement petits graviers ou fragments terreux étant venu s’incruster au niveau des sutures.
  •  L’arcade zygomatique gauche est fracturée avec petite perte de substance osseuse, l’arcade droite est absente.
  • Absence d’image en faveur d’une éviscération crânienne, ce qui cadre avec l’ancienneté du crâne.

4.3 - Endoscopie

L’examen a été réalisé avec un rhino-laryngoscope Olympus, de type ENF-GP.

Voie foraminale : l’os est non teinté, l’endocrâne présente deux petits dépôts noirâtres, formant deux petites boules, la première au niveau de bregma, la seconde, sur le pariétal gauche (prélevée à la curette, sans aucun effort). Cette petite formation intracrânienne a fait l’objet d’une analyse chimique pour identification. L’ethmoïde intact et l’absence de baumes sur ce crâne ne permettent pas de déterminer la réalisation de pratiques de momification sur ce sujet. L’ancienneté du crâne est un critère en faveur d’une absence d’excérébration, mais également de momification. Toutefois, l’os à nu ne permet pas de déduire la réalisation éventuelle de pratiques rituelles.

4. 4 - Analyse chimique

L’analyse du fragment intracrânien, prélevé à l’aide d’une curette à l’intérieur du crâne a été effectuée par chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse (CPG-SM), dans le laboratoire de l’UMR IMBE (équipe Ingénierie de la Restauration des Patrimoines naturel et culturel) à l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.

Le retraitement du chromatogramme obtenu a permis de préciser certains points développés ci-après. L’échantillon s’est révélé très peu concentré en matière organique. Il s’agit d’une première réponse car la question préalable était de savoir si l’échantillon, d’apparence solide et dure, contenait une fraction de nature organique ou bien était purement minérale. La présence de corps gras, saturés et insaturés, ainsi que celle, importante, de cholestérol peuvent être le signe d’une contamination humaine, lors de manipulations diverses. Il faut noter aussi le pic intense du phtalate, contaminant provenant de matières plastiques (cf.fig.11).

Au côté de ces sources de pollution extérieures, l’acide déhydroabiétique (DHA) est observé. Il s’agit d’un acide terpénique non volatil présent dans les résines des plantes et plus particulièrement dans celle des Pinaceae. Néanmoins aucun autre marqueur de dégradation n’est détecté, comme par exemple l’acide 7-oxo déhydroabiétique ou le rétène. Ce qui paraît étonnant en rapport avec la datation de l’échantillon analysé.

 

Composé

Temps de rétention (en minutes)

Acide monocarboxylique C12 :0

14.35

Acide monocarboxylique C14 :0

18.25

Acide monocarboxylique C16 :0

21.15

Acide monocarboxylique C18 :1

25.20

Acide monocarboxylique C18 :0

28.80

Acide déhydroabiétique DHA

28.62

Structure osidique

31.76

C16 monoglycérol

33.34

Phtalate

37.17

C18 monoglycérol

38.33

Cholestérol

46.69

Fig. 11 : Analyse chimique du fragment intra crânien

 

4.5– Paléopathologie

Fig. 6 : Lésions pariétales gauches                                                             Fig. 7 : Gros plan des lésions pariétales

 

Les lésions observables sont de type ostéolytique et concernent uniquement la voûte crânienne. L’ensemble est bien conservé : il ne manque qu’un os wormien détaché de la partie médiane de la suture lambdoïde gauche, la squame de l’os temporal gauche et la portion moyenne de l’arcade zygomatique gauche (détails déjà visibles sur les clichés publiés à l’époque par Lortet). Les pertes de substance sont multiples, essentiellement au dépend du diploé et de la table externe ; certaines présentent une perforation de la table interne. L’os pariétal gauche est le plus atteint avec 6 zones de destruction osseuse : trois d’entre elles sont contigües et coalescentes, s’étendant sur presque la surface de sa moitié antérieure, dont une avec perforation arrondie excentrée, et la moitié para sagittale de l’os (une avec perforation excentrée), toutes avec une morphologie en carte de géographie. Trois autres, moins étendues, ont un contour arrondi, polylobé, et sont positionnées en dessous et au niveau de la bosse pariétale. Une seule présente une perforation ovalaire. Le pariétal droit présente deux lésions arrondies polylobées para sagittales plus petites, et une troisième près de l’angle postéro-supérieur. L’os frontal en présente une, située près de la portion moyenne de la suture coronale gauche, d’aspect similaire aux précédentes. Le malaire gauche présente une érosion polylobée de petite taille.

La caractéristique morphologique macroscopique de ces lésions est une perte osseuse au dépend du diploé et de la table externe avec extension biseautée large jusqu’à sa corticale ; cette dernière a, par endroits, un aspect festonné à denticules émoussés en léger surplomb sur le biseau. La pente douce du biseautage concerne les lésions les moins étendues, mais la surface corticale de la table externe peut être seule absente sur de larges plages reliant les plus grandes lésions du pariétal gauche.  L’atteinte du diploé sur les plus petites lésions (et pour partie des plus larges) est creusée en bouton de chemise dans l’épaisseur de celui-ci, avec un contour arrondi qui s’étend sous la corticale externe et interne ; c’est à ce niveau que la perforation de la table interne peut se voir. Il n’y a pas de modification de la surface péri lésionnelle sur l’endocrâne, que ce soit en regard des pertes osseuses perforées ou non.

Ces destructions osseuses ont un aspect phagédénique, mais aucune ne franchit de suture au stade de la destruction du diploé. La surface de ce dernier mise à nu montre les trabéculations de l’os spongieux aux contours émoussés, et, par endroit, sur les grosses destructions, l'ostéolyse de la table externe n'atteint que son épaisseur corticale avec une surface mamelonnée. Les lésions ainsi décrites pourraient donner à penser à un processus post-mortem ou alors pathologique à point de départ diploïque qui s’étend progressivement vers l’extérieur et en s’élargissant au dépend de la table externe, sans processus de comblement ni d’ostéosclérose cicatricielle intra et péri-lésionnelle nette. Une perforation de plus petite taille que l’orifice externe s’observe alors que la lésion n’est pas nécessairement de grande taille. Sur les clichés radiographiques on remarque l’absence totale de liseré d’ostéocondensation périphérique aux pertes de substance, il n’apparait aucune lacune isolée intra-diploïque non plus.

 

5 – Discussion;

 L’absence de description de cette pathologie dans les papyri médicaux égyptiens, de même que celle de lésions spécifiques lors de l’étude des momies conservées ou réduites à l’état de squelettes nous permet de confirmer que la syphilis n’a pas été retrouvée en Égypte ancienne [4-8]. Depuis 1966, Eugen Strouhal [58] a pu étudier trois mille squelettes égyptiens et n’a jamais mis en évidence de lésions syphilitiques telles que celles décrites par Hackett qui a examiné 424 crânes et calvariae, 250 os longs provenant de 22 musées de médecine européens. Voir, en particulier, les schémas de la fig. 2, p. 233, décrivant les caries sicca, critère diagnostique des lésions syphilitiques osseuses [20]. Eugen Strouhal conclut donc très logiquement: « It correlates with the lack of any mention of syphilitic symptoms in Ancient Egyptian medical papyri »

De ce fait quelle peut donc être l’étiologie des lésions osseuses, au regard des publications qui en ont fait part, et des données radio-anatomiques et paléopathologiques récentes ?

Dans son approche diagnostique, Lortet considérait ces atteintes comme syphilitiques tout en reconnaissant d’une part l’absence des caractères habituels de cette affection (qu’il nommait « exostoses circumvoisines » d’os compact) et d’autre part l’absence du reste du squelette (les tibias étant habituellement atteints dans ce type d’affection) sur lesquels il aurait pu s’appuyer ; mais il argumentait son diagnostic sur le caractère « invétéré » de la maladie syphilitique, une évolution rapidement mortelle qui n’aurait pas permis aux stigmates cicatriciels de se développer. Ce sont ces arguments qui ont alimenté la controverse de plusieurs auteurs sur ce diagnostic de syphilis : au début, E. Smith et al.[54] réfutaient le diagnostic posé par Lortet ; ils décrivaient ces lésions comme étant des érosions post-mortem causées par des termites. Plus récemment, l’érosion par termites a été également retenue pour ce crâne par J.B. Huchet [24]

Dans leur classification empirique des modifications osseuses de type "altération" (par arbres dichotomiques où les modifications analysées sont hiérarchisées en fonction de leurs critères descriptifs les plus objectifs), Corron et al.[11] retiennent trois types de modifications destructives ayant une morphologie similaire, lorsqu’elles concernent ainsi la voûte crânienne de façon disséminée et étendue avec un bord en biseau, les exemples publiés par ces auteurs sont comparables aux altérations du crâne de Rôda. Elles ont par contre des causes différentes. Il peut s'agir d’une pathologie, l'histiocytose à cellules de Langherans, diagnostiquée par comparaison avec des lésions de même morphologie et distribution ; il peut s'agir de deux causes taphonomiques, soit une destruction par des termites (repérable par les micro-striations en étoiles caractéristiques de l'action des mandibules de ces insectes sur le pourtour des lésions), soit une destruction par dissolution acide due aux racines du sol (d’après la position du crâne relevée dans le sol et les traces de sillons radiculaires proches).

Toutefois, sur le calvarium de Rôda, nous n’avons pas constaté ces micro-striations stellaires dues aux termites ; cela n’écarte pas pour autant cette possibilité, elles ont pu disparaître car ces restes osseux ont été maintes fois manipulés depuis plus d’un siècle, et une ancienne fine couche de vernis n’est pas exclue. Nous n’avons pas non plus constaté de sillons d'empreintes racinaires à proximité des destructions osseuses, tant sur l’exocrâne que sur l’endocrâne. Lortet précisait qu'il s'agissait d'une sépulture secondaire dans un sol sableux, mais sans élément descriptif ni schéma de fouille qui aurait permis d'avoir une idée de la position du calvarium dans le sol, critères considérés importants pour G.E.Smith et al.[54] dans la topographie des érosions par insectes nécrophages centrées sur les parties déclives au contact du sol. Sans écarter une possible action post-mortem par des insectes nécrophages sur ce crâne de Rôda, quels seraient alors les arguments étayant une origine pathologique comme une tuberculose ou l’histiocytose à cellules de Langherans ? En effet, E.Strouhal [58] écarte également l'étiologie syphilitique au sujet des lésions du crâne de Rôda, car, sur plus de 3000 squelettes d’Egypte antique qu’il a étudiés, il n’a jamais constaté de lésion syphilitique (ou tout au moins de tréponématose), et, selon lui, il n'y a pas de cause post-mortem aux lésions du crâne étudié par Lortet. Il retient la possibilité d'une tuberculose ou d'une maladie de Hand-Schüller-Christian.

La tuberculose du crâne est une affection rarement décrite, sur l’ensemble des cas d’infectin tuberculeuse, seulement 1% concernent le squelette dont seulement 0.2 à 1.3% le squelette crânien [28] même en zone endémique actuellement [1] C'était déjà le cas au 19° siècle dans les grandes séries statistiques préantibiotiques citées par D.J.Ortner [44] où l'atteinte crânienne touchait particulièrement les os de la voûte crânienne préférentiellement chez l'enfant et l'adulte jeune de moins de trente ans. La tuberculose crânienne concerne toujours les individus jeunes (le crâne de Rôda s'inscrit dans cette tranche d'âge) : environ 50% des patients qui en sont atteints ont moins de 10 ans, et 75 à 90% ont moins de 20 ans [13] L’os pariétal et l’os frontal sont les plus communément atteints [36] du fait de leur meilleure vascularisation et, préférentiellement, l’os pariétal (52.3%) devant l’os frontal [49]. L’os occipital et l’os sphénoïde le sont plus rarement [37].

Il est décrit trois types d’ostéite tuberculeuse du crâne selon l’aspect des destructions observées [39] :

  1. Les lésions lytiques perforantes circonscrites (de petite taille, avec perforation de la voûte par destruction des tables externe et interne, et tendance à s’étendre sans réaction périostée). Initialement décrites par R.Volkmann [61] les destructions lytiques perforantes circonscrites sont les plus fréquemment rencontrées, de forme arrondie et détruisant toute l’épaisseur de la voûte crânienne sans réaction d’ostéosclérose [56].
  2. La tuberculose diffuse du crâne, avec destruction massive du diploé et de la table interne, a été décrite par F.Konig .[26].
  3. Le type sclérotique circonscrit (avec amincissement du diploé par réduction d’apport sanguin) est la forme la moins fréquente [39]. Ont été décrites aussi des lésions d’ostéomyélite tuberculeuse, montrant une destruction irrégulière, lobulaire, hétérogène, cloisonnée, avec ostéosclérose périphérique, où le diagnostic morphologique peut se discuter avec celui de métastase ou de méningiome intra-osseux [7].

Comme le décrit D.J.Ortner [44 la lésion la plus caractéristique de la tuberculose crânienne est une ostéolyse arrondie de la voûte du crâne d'environ deux centimètres de diamètre, avec séquestre central ou, plus tard, perforation complète ; cette ostéolyse peut franchir ou non les sutures crâniennes. La périphérie de l'ostéolyse montre une résorption osseuse active et une minime reconstruction marginale (qui parfois peut être plus importante sur les larges destructions). Chez l'enfant ce type d'atteinte peut faire discuter le neuroblastome métastatique et l'histiocytose à cellules de Langerhans (dans ce dernier cas, il n'y a pas de franchissement de suture, et les atteintes multiples épargnent la base du crâne). Chez l'adulte, les lésions de la voûte sont plus larges, souvent solitaires avec destruction progressive de l'os et marges irrégulières ; la réaction ostéoplastique est rare, voire absente (contrairement à la syphilis tertiaire) ; la destruction de la table interne est plus étendue que la table externe (dans la syphilis, c'est la table externe qui est concernée), et on peut observer des plages d'hypervascularisation de la table interne (atteinte péri-méningée). Certains ont noté que l’atteinte destructrice de la table externe était suivie d’une relative résistance de la table interne [35]. Pour D.C.Strauss [56] la table interne est préférentiellement détruite, et pour Meng et al. [36], les deux tables sont atteintes de manière équivalente.

Certains auteurs [48] observent la normalité de l’os de la voûte crânienne à la marge de la perforation, parfois une expansion des lésions lytiques destructrices avec des marges irrégulières mal définies et un front d’ostéosclérose, qui évolue plus tard en bordure ostéoporotique. Pour K.K.Mukkerjee et al.[43]. les divers types d’atteinte crânienne tuberculeuse dépendent de la virulence du germe et de la réponse immunitaire de l’hôte, la présence d’une ostéosclérose périphérique serait due à une surinfection secondaire.

Ces lésions ostéolytiques, avec ou sans réaction d’ostéoformation périphérique, ne sont pas radiologiquement spécifiques. L’aspect radiologique le plus commun de l’ostéite tuberculeuse crânienne consiste en une lésion isolée de la région frontale ou pariétale pouvant associer à la fois une ostéolyse et une ostéoplastie  [5-6-51]. Une perte osseuse irrégulière plus large à la table interne, est parfois étendue, diffuse et hypodense, et elle a parfois des marges plus denses ; ces aspects observés en imagerie standard et au scanner ne sont cependant pas non plus spécifiques et sont constatés aussi au cours d’une ostéomyélite à pyogènes, un granulome éosinophile, une métastase cancéreuse, un hémangiome, un kyste anévrysmal osseux, un méningiome, un neuroblastome et également la syphilis [25-38-60].

L’histiocytose à cellules de Langherans (HCL) est une affection rare (avec une incidence de 0.2 à 2 cas pour 100000 enfants de moins de 15 ans  :  Prayer et al. [45]- D'Ambrosio et al. [12] ont observé sur une série récente 60% de lésions isolées et 40% de lésions multiples, et, dans l’ensemble, 54% d’atteinte du crâne, particulièrement le calvarium dans 45% des cas, avec une atteinte de l’os pariétal dans la moitié des cas. L’HCL se présente sous trois aspects : le granulome éosinophile qui ne concerne que le squelette chez des enfants entre 5 et 15 ans ; la maladie de Hand-Schüller-Christian qui est multifocale tissus osseux avec atteinte extrasquelettique du système réticulo-endothélial et de la glande pituitaire, concerne les jeunes enfants entre 1 et 5 ans ; la maladie de Letterer-Siwe, qui est une atteinte fulminante du système réticulo-endothélial des enfants de moins de 2 ans [23-59].

Les lésions de HCL sont arrondies ou ovalaires, détruisant toute l’épaisseur de la voûte crânienne, avec un contour régulier et des berges biseautées de manière inégale sur les deux tables interne et externe de la voûte crânienne [2]. L’aspect typique de la lyse osseuse de l’HCL a une forme bien régulière, sans ostéosclérose marginale détruisant à la fois la table externe et la table interne du diploé [62]. Ces lésions touchent préférentiellement l’os pariétal et l’os frontal [22]. En imagerie clinique les lésions sont isolées ou multiples, perforantes à contours bien définis, sans atteinte préférentielle de l’une au l’autre table, interne ou externe, qui peut être détruite en biseau. Les lésions multiples peuvent s’élargir et devenir coalescentes et former des destructions en carte de géographie avec ou sans séquestre osseux [27].

Tout comme la littérature médicale en fait état pour la tuberculose crânienne, on notera la non spécificité morphologique anatomo-radiologique du caractère isolé ou multiple, arrondi ou ovalaire, au contours nets ou peu définis, des lésions ostéolytiques d’une HCL:  ces aspects  peuvent être assez similaires aux lésions du myélome multiple de l’adulte ; cependant dans l’HCL il peut y avoir une réaction périostée qui prend la forme d’une fine couche d’os périosté ou bien d’une épaisseur plus importante. Au cours de l’évolution des lésions d’HCL, l’ostéosclérose marginale va se développer tout en restant limitée ; les lésions peuvent parfois totalement disparaître avec ou sans une petite déformation de la voûte [59]. Aucune dispersion de lacune arrondie intra diploïque de petite taille n'est visible sur les radiographies du crâne de Rôda, on peut exclure le myélome multiple, bien qu'il n'y ait pas d'ostéosclérose marginale (l’aspect classique du myélome multiple correspond à des lacunes diploïques arrondies à l’emporte-pièce, à bords nets sans sclérose marginale, et extension ultérieure à la table interne et/ou externe).

Pour F.E.Morón et al. [41] le principal diagnostic différentiel des lésions ostéolytiques du crâne en imagerie (chez l’enfant) se discute avec le kyste dermoïde ou épidermoïde si la lésion est isolée, et le neuroblastome métastatique si elles sont multiples ; les métastases au niveau de la voûte crânienne n’ont pas l’aspect régulier en biseau d’une HCL, elles sont associées à une réaction périostée d’aspect hérissé. Certains auteurs ont même décrit une forme inhabituelle d’ostéomyélite syphilitique d’aspect ostéolytique difficile à distinguer radiologiquement des atteintes ostéolytiques du granulome éosinophile, du myélome multiple ou de la dysplasie fibreuse kystique [19].

D’un point de vue morphologique et radiographique, les lésions du crâne de Rôda pourraient relever non exclusivement d’une atteinte tuberculeuse dans sa forme lytique perforante. Bien qu'il ne présente pas les caractères considérés comme les plus typiques de la tuberculose (destruction de la table interne, résorption active périphérique, front marginal d'ostéosclérose modéré, franchissement des sutures ). Mais, même en tenant compte de la diversité d'expression anatomique de cette affection, et sa non spécificité, telle que décrite dans la littérature médicale, il est licite de ne pas exclure ce diagnostic. Car, contrairement aux tréponématoses, la tuberculose en Ancienne Égypte est bien connue au niveau de ses atteintes rachidiennes, aucun cas de tuberculose crânienne n'est cependant cité dans la littérature paléopathologique pour cette période et cette région par D.J.Ortner [44 ou A.C.Aufderheide et al. [3] excepté l'hypothèse émise par E.Strouhal [58] - pour le crâne de Rôda. D'autre part, les lésions en carte de géographie et l'absence de sclérose marginale sont plus en faveur d'une histiocytose à cellules de Langherans, avec les réserves dues à leur non spécificité également et la rareté de cette affection par rapport à la tuberculose. En Égypte ancienne, deux cas d'HCL ont été décrits par E.Strouhal [57] un adolescent et un jeune adulte. A.C.Aufderheide et al. [3] n'ont pas cité de cas paléopathologique.

 

CONCLUSION       

  • Le crâne, découvert par Charles-Louis Lortet dans la nécropole de Rôda, est celui d’une jeune femme âgée d’une vingtaine d’années dont l’ensemble des caractères anatomiques et métriques craniens milite en faveur d’un phénotype métissé leuco-mélanoderme ce qui correspond en partie à l'hypothèse initiale de Lortet : "Cela tendrait (...) à prouver (...) que, les anciens Egyptiens (...) ne sont point venus d'Asie, mais qu'ils forment bien une race primordiale autochtone née en Afrique, avec des caractères africains manifestes : prognathisme plus ou moins prononcé, dolichocéphalie bien marquée, tendance à la scaphocéphalie ..."
  • Le crâne ne pouvant pas être daté par le carbone 14,  la datation (époque prédynastique) a été attribuée en fonction de l’ancienneté du site de sa découverte. L’absence d’éléments spécifiques n'a pas permis de retrouver une trace quelconque de momification. Par ailleurs, l’analyse chimique de l’échantillon intracrânien pourrait être le témoin d’une contamination moderne, secondaire aux nombreuses manipulations dont a fait l’objet ce crâne depuis plus d’un siècle.
  • L’éventualité de lésions syphilitiques a été écartée en raison de la nature spécifique de celles-ci et de l’absence de cette pathologie en Égypte ancienne, deux autres hypothèses peuvent être retenues : la tuberculose du crâne, évoquée déjà au début du XXe siècle (à l’époque de l’affaire Chantre-Lortet) et l’histiocytose à cellules de Langherans.
  • Enfin, une origine taphonomique de ces lésions peut être définitivement écartée.

 

NOTES

 

1 Il s’agit d’une momie d’homme (90002402) et d’une momie de femme (90002403) rapportées d’Égypte par Lortet.

2 Ernest Chantre avait fouillé la nécropole de Khozan en 1899. Le produit de ses fouilles a été réparti entre le Muséum de Lyon et le musée du Trocadéro de Paris.

3 Voir, à ce sujet, M.-C. Rabolt [47] p. 131-132 (1er vol.) & p. 129-130 (Annexes 75-76).

4 Charles-Louis Lortet (1836-1909) occupa cette fonction de 1870 à 1909. Concernant sa vie et ses travaux Cf.[16]

5 Lortet effectue, à partir de 1893, plusieurs missions en Égypte, où il va tout d’abord réaliser un travail considérable sur la faune antique, avant d’entreprendre des fouilles sur des nécropoles, à partir de 1901 et jusqu’en 1909, au cours de missions scientifiques.

6 Située à une quarantaine de kilomètres au sud de l’actuelle Louqsor

7 Ernest Chantre (1843-1924), sous-directeur du muséum de 1877 à 1909, était également archéologue et ethnologue.

8 Chantre a fouillé la nécropole de Khozan à partir de 1899. Le site se trouve à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Louqsor, sur la rive est du Nil.

9 Cf. L. Ch. É. Lortet [30-31]

10 Ce différend va conduire Édouard Herriot, maire de Lyon, à charger M. Dupéret, doyen de la faculté des Sciences, d’établir « un rapport sur le conflit d’ordre scientifique » opposant Lortet et Chantre. Ce rapport établira la réalité des fouilles réalisées par Chantre sur la nécropole de Khozan. Par contre, Chantre est accusé de « plagiat et démarquage de localité » pour cinq pièces dont les figures ont été copiées dans les ouvrages de J. de Morgan et Fl. Petrie. Cf. L. Lortet [33]

11 Cf. L.Ch. É.Lortet & C. Gaillard,[34]

12 Cf. L.Ch. É.Lortet [31]  

13 Antonin Poncet (1849-1913) était un chirurgien et physiopathologiste des Hôpitaux de Lyon ayant fait des recherches sur la tuberculose inflammatoire ou arthrite réactionnelle secondaire à la tuberculose, à laquelle il donna son nom (maladie de Poncet).

14 Cf. L.Ch. É.Lortet & C. Gaillard, op. cit.[34]   p. 43.

15  Ibid. [34]p. 42-43.

16 L. Ch. É. Lortet, op. cit.[31]p. 214.

17 Ibid.[31] p. 226.

18 Cf. J. de Morgan (1857-1924) : géologue, archéologue et préhistorien, a été nommé directeur général du Service des Antiquités de l’Égypte en 1892. Par son travail, il a contribué à la reconnaissance de la préhistoire égyptienne, dès la fin du XIXe siècle.

19 Cf.   J. de Morgan [40

20 Cf. D. Fouquet [15]

21 Cf.  M. Gangolphe [17]

22 Ibid., [17]  p. 76

23 Cf.  M. Gangolphe [18

24 Égyptologue américain

25 W. M. Flinders Petrie (1853-1942) réalise des fouilles utilisant des techniques de relevés précis et établit des typologies. En 1894, il dirige des fouilles à Nagada et Ballas [46] où il découvre des inhumations d’un nouveau type, la chronologie est attribuée à la période prédynastique.

26 Cf. W. M. Petrie [46]

27 Cf. G. Smith [52 - 53]

28 Cf. G. E. Smith, M. A. Cantab, Ch. M. Syd, [54]

29 Ibid.[54]  p. 86.

30 Cf. G. E. Smith, W. R. Dawson [55]

31 Cf. V. Loret [29] : « … quand il arrive que deux anthropologistes sont en désaccord sur un sujet égyptologique, - surtout s’il s’agit d’un point sur lequel il y a accord absolu en égyptologie, - il me semble qu’un égyptologue doit considérer comme un devoir d’intervenir dans la discussion et d’indiquer où est l’erreur et où est la vérité. » Nous remercions Monsieur le Pr Lilian Postel de nous avoir permis de prendre connaissance de ce document.

32 Cf. E. Chantre [10]

33 Cf. V. Loret, op. cit.[29] p. 12.

 

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 Remerciements à Monsieur Didier Berthet, Chargé de Collection et Responsable Inventaire au Centre de Conservation et d’Etude des Collections du musée des Confluences, pour la mise à disposition de ce crâne, et à Madame Karine Madrigal, qui occupait le poste d’Assistante scientifique sur la collection d’Égyptologie lors du début de notre étude, ayant attiré notre attention sur la présence de ce crâne dans la collection d’Ostéologie du musée des Confluences et pour les documents fournis.

 

ANNEXE

Société Linnéenne de Lyon / Séance du 9 novembre 1907

CRANE SYPHILITIQUE ET NÉCROPOLES PRÉHISTORIQUES DE LÀ HAUTE-ÉGYPTE

Par M. le Dr Lortet

Lorsqu'on descend la vallée du Ni1, depuis Luxor et Karnak, non pas en bateau à vapeur ou en chemin de fer, mais en barque à voiles, on peut constater que, pendant plus de 300 kilomètres, les dieux rives du Nil, aussi bien à l'Orient qu'à l'Occident, sont couvertes, à la lisière désertique des terres cultivées, de nombreuses tombes très anciennes, renfermant des squelettes humains, dont les os désarticulés ont été disséminés au hasard sur le sol de la fosse. Il est certain que les cadavres avaient subi la décomposition ailleurs que dans ces tombes. Toutes renferment un certain nombre de vases, de formes variées, mais surtout cylindro-coniques, ornés de quelques raies rougeâtres, dessinant de grands losanges. Ces vases sont aux trois quarts remplis d'une terre végétale, ayant certainement été mouillée fortement avant son introduction, et peut-être mêlée à des substances alimentaires déposées comme offrandes. Cependant, l'examen microscopique et l'examen chimique, faits avec le plus grand soin, n'ont rien fait découvrir à ce point de vus.

A Rôda, localité située sur les confins du désert, à une demi-journée de baudet de Karnak, se trouve une de ces nécropoles préhistoriques encore inexplorée par les archéologues et non dévastée pair les marchands d'antiquités. Les tombes, très nombreuses, sont toutes quadrangulaires, alignées régulièrement de l'est à l'ouest, profondes de 1mètre environ et creusées dans le vieux limon du Nil. Elles sont toutes comblées, non avec de la terre végétale, mais avec le sable et le gravier pris dans le désert voisin.

Dans une de ces tombes, fouillée par nous, et absolument semblable aux autres, nous avons trouvé, avec quelques vases archaïques, mais sans autres ossements humains, un crâne de jeune femme, présentant avec certitude tous les caractères de la race égyptienne ancienne la plus pure.

Crâne de jeune femme de race égyptienne ancienne avec altération osseuse de nature syphilitique

 

Il est très dolichocéphale, un peu asymétrique, le pariétal, gauche et la partie gauche de l'occipital étant repoussés en arrière, de telle sorte que l'axe antéro-postérieur du trou occipital ne correspond plus en ligne droite avec la suture palatine, la partie crânienne postérieure étant tout entière déjetée vers la gauche. Ce crâne appartient à une jeune femme de vingt à vingt -trois ans, les deux dents de sagesse se montrant à peine à l'ouverture alvéolaire. La boîte osseuse présente, sur toute sa superficie, une altération osseuse extrêmement remarquable, dont la nature syphilitique ne peut, je crois, laisser aucun doute. Ainsi qu'il est facile de s'en rendre compte par l'examen de la photographie ci-incluse, le pariétal gauche est profondément attaqué par une ulcération serpigineuse, irrégulièrement circonvoluée, ayant fait disparaître entièrement le feuillet externe de l'os, tandis que, dans certains endroits, la lame interne, attaquée à son tour, a permis de véritables perforations, établissant des communications directes entre l'extérieur et la cavité crânienne.

Le pourtour de cette grande partie de substance est taillé en biseau très large, aux dépend, de la table externe de l'os. Au voisinage de cette lésion très étendue, se voient cinq ou six autres points atteints d'une, nécrose semblable, ayant donné lieu à des perforations complètes du diploë et de la table interne. Ailleurs, d'autres régions commencent à être atteintes par le processus pathologique, et, au début, présentent des taches irrégulières, blanchâtres, tranchant vivement sur la coloration jaunâtre du crâne, et laissant voir une substance osseuse plane encore, mais déjà plus ou moins rugueuse. Ce dépoli est dû à l'altération commençante da la table externe de l'os. Certaines de ces taches sont, restées tout à fait superficielles, tandis que d'autres commencent manifestement à creuser la surface de l'os. Le pariétal droit est moins profondément attaqué que le gauche ; cependant, il est déjà couvert de taches dépolies, dont quelques-unes, déjà ulcérantes, ont pénétré dans l'intérieur du diploë comme l'aurait fait une vrille, en trouant la table externe.

L'occipital présente le même travail pathologique, surtout dans sa partie supérieure. L'os est souvent attaqué profondément, mais il n'est pas encore perforé. Le frontal porte au côté gauche des érosions multiples dont une seule traverse la table externe. L'arcade sourcilière droite commence à être attaquée, ainsi que la bosse frontale ; sur l'apophyse mastoïde droite, se trouve déjà une petite tache blanche dépolie en arrière. Sur la suture occipito-pariétale gauche, se trouvait un petit os wormien qui s'est perdu pendant le transport. Tous les os de la base du crâne sont intacts, les dents sont saines et ne présentent point les lésions spéciales qu'on a constatées quelque fois, chez les syphilitiques par hérédité. Le maxillaire inférieur, manque et malheureusement, dans le sable de la fosse, nous n'avons pu retrouver aucun des os longs qui auraient été si intéressants à examiner au point de vue de l'infection syphilitique.

La syphilis, croyons-nous, est ici seule en cause, et, cependant, il manque un des caractères les plus importants que l'on peut presque toujours rencontrer sur les lésions osseuses de cette nature, ce sont les exostoses circonvoisines, les digues, en quelque sorte, formées par du tissu osseux compact, évidemment disposées par la nature afin d'empêcher ou du moins de retarder l'envahissement des tissus par les spirochètes ou les toxines. Malgré l'absence de ce caractère, les lésions sont si semblables, quant à la forme, à ce que l'on peut constater dans certains cas de syphilis invétérée, que nous ne pouvons nous empêcher de croire que c'est à cette infection spécifique que nous avons affaire sur ce crâne de Rôda. Les exostoses n'ont probablement pas eu le temps de se produire chez cette jeune femme, qui a dû mourir rapidement.

Il est donc très intéressant de retrouver en Egypte des traces de syphilis préhistorique, comme on en a constaté la présence dans la station de Solutré, sur un squelette de femme, actuellement au Muséum de Lyon, et jadis examiné avec beaucoup de soins par Broca, Vire how, Parrot et Rollet, qui ont été unanimes à conclure que les altérations que présentent les tibias de ce squelette sont certainement de nature syphilitique.

A cette époque archaïque, la plupart des morts de la contrée devaient être couchés soit sur des branches d'arbres entassées les unes suit les autres, exposés à l'air, aux oiseaux de proie, ou bien peut-être étaient-ils placés dans des tombes provisoires ou abandonnés sur le sol de leur hutta jusqu'à ce que les chairs fussent tombées en putréfaction. Alors seulement, les os étaient recueillis en plus ou moins grand nombre pour être semés sur le sol de la tombe définitive, avec un mobilier funéraire déterminé.

Par exception, et deux fois seulement, nous avons trouvé à Rôda des corps non désossés, mais simplement desséchés, entourés de linges grossièrement tissés ou de peaux de gazelle cousues les unes aux autres, et de nattes très fines tissées en joncs. Un troisième squelette, qui me montrait plus aucune chair desséchée, a été trouvé dans la grande jarre faite à la main. Sur aucun de ces squelettes ou de ces crânes, nous n'avons constaté des traces de bitume. Les substances conservatrices, nous ont paru être tout simplement de nature résineuse. Nous n'avons jamais rencontré, comme le Dr Fouquet l'a constaté pour des crânes d'autres régions, de la résine p/ure ou du bitume à l'intérieur de la cavité crânienne, ce qui prouve qu'à cette époque reculée, le bitume n'était absolument pas employé à Rôda. Dans la cavité crânienne de l'homme desséché, nous avons trouvé de gros morceaux de la substance cérébrale, dont les circonvolutions étaient nettement visibles. Ce lait avait déjà été constaté par notre ami le Dr Fouquet et par M. Elliot Smith, professeur à l'Ecole de médecine du Caire. Il est bien certain que l'usage du bitume, dans la pratique de la conservation des corps, ne date que d'une époque bien plus rapprochée de nous. Mais si le bitume n'était point en usage, nous pouvons affirmer qu'on devait déjà tremper les linges, les vêtements, ainsi que les peaux de gazelle, dans du natron résineux, substance qui teint ces objets en noir plus ou moins foncé et qui leur donne une odeur caractéristique.

L'examen attentif des crânes trouvés par nous à Rôda, ainsi que ceux d'anciens Coptes ramassés dans le vieux cimetière d'Assouan, nous permet de tirer quelques conclusions intéressantes, surtout si on compare ces restes à ceux trouvés dans d'autres stations préhistoriques par M. de Morgan, et aussi aux crânes des momies thébaines que possède le Muséum de Lyon.

Au premier coup d'œil, et sans tenir compte des mensurations on peut affirmer que les crânes de Rôda sont de dimensions très voisines de ceux trouvés à Négadah, à Kawamil et étudiés par le Dr Fouquet. Les crânes des anciens Coptes du cimetière d'Assouan sont notablement plus dolichocéphales que les crânes de la période thébaine. Par contre, les mêmes crânes de Rôda et d'Assouan ont une hauteur basilo-bregmatique bien plus forte, comparativement au diamètre transverse maximum, que les crânes égyptiens de la période thébaine. A un faible diamètre transverse correspond le plus souvent une grande hauteur basilo-bregmatique, et inversement. Ces variations, dans un sens ou dans l'autre, amènent toujours un système de compensations.

En résumé, dans les séries des crânes égyptiens que nous avons pu étudier au Muséum de Lyon, ainsi que dans celui du Caire, les crânes larges, et ce sont ceux des Thébains de différentes localités, et certainement aussi de différentes époques, sont plats ou platycéphales ; les crânes étroits, qui sont ceux de Rôda et du cimetière d'Assouan, sont le plus fréquemment étroits, hauts ou hypsicéphales, avec un sommet en forme de double toit incliné tendant à une légère scaphocéphalie.

L'âge probable des crânes récoltés par nous dans le vieux cimetière d'Assouan doit être ramené au XIIe ou au XIIIe siècle. Les formes, les caractères que nous ont donnés cette série malheureusement encore trop petite, mais étant d'origine absolument certaine, sont des plus intéressants, puisque ces crânes ressemblent beaucoup à ceux appelés préhistoriques, provenant des nécropoles archaïques de Rôda et de Khozan, dont les Musées de Lyon et du Caire possèdent de nombreux exemplaires. Ces anciens Coptes d'Assouan ont donc de grands rapports de race avec leurs ancêtres préhistoriques, créateurs des nécropoles de Rôda et de Khozam.

Ils ne paraissent pas avoir été influencés notablement par les races nubiennes et négroïdes des régions du Sud. Ils semblent avoir été encore moins mêlés aux races du Nord qui, à certaines époques, ont pu remonter le Nil avec les armées conquérantes.

Par contre, ces races du Nord ont peut-être donné naissance, dans cette même région, au type thébain, si bien caractérisé, et qu'on retrouve très souvent chez les momies à bitume des nécropoles de cette grande cité.

On peut donc conclure de ces faits qu'à une époque très éloignée, mais indéterminable jusqu'à aujourd'hui, une ancienne race habitait , les bords du Nil, dans ces parages de la Haute Egypte, à Kawamil, Guebel Silsiléh, Khozan, Rôda, et aussi dans beaucoup d'autres localités où j'ai constaté la présence de tombes préhistoriques ; de ces peuplades, probablement autochtones, les plus anciennes connues jusqu'à ce jour, sont descendus les Coptes de la Haute Egypte, car, d'après tout ce qu'il nous a été possible de constater, les Coptes habitant la région d' Assouan et de Luxor ressemblent encore d'une façon frappante, par l'ossature de leur crâne, aux squelettes découverts par nous dans les tombes de Rôda. Cela tendrait encore à prouver ceci que, les anciens Egyptiens, qui, du reste, ne présentent nullement les caractères propres aux Asiatiques, ne sont point venus d'Asie, mais qu'ils forment bien une race primordiale autochtone née en Afrique, avec des caractères africains manifestes : prognathisme plus ou moins prononcé, dolichocéphalie bien marquée, tendance à la scaphocéphalie, et, enfin, chez le vivant, grosses lèvres retournées, nez court fréquemment épaté.

On est aussi en droit de se demander quel peut bien être l'âge de ces vieilles nécropoles de Gébélein, Khozam et Rôda, et s'il est permis, comme l'a fait le premier M. de Morgan, avec sa perspicacité bien connue, de leur donner le nom de nécropoles préhistoriques, Nous répondrons de suite par l'affirmative. Pour nous, elles sont, absolument préhistoriques, puisqu'aucun monument historique, pouvant les dater, n'y a jamais été rencontré. Par conséquent, aussi bien que las stations d'Europe, notoirement préhistoriques, elles ont le droit de porter ce titre, qui les différencie nettement de, celles ayant appartenu à d'autres époques. Seulement, la difficulté n'est que repoussée, si l'on veut serrer de plus près la question qui nous préoccupe, car il est bien évident qu'il ne nous est pas possible, dans l'état actuel de nos connaissances, de dire si la nécropole de Rôda, par exemple, est plus ou moins ancienne que telle ou telle station préhistorique d'Europe.

Tout ce qu'il nous est permis d'affirmer aujourd'hui, c'est que les nécropoles que nous venons d'explorer ne sont datées par aucun monument, aucune inscription faisant partie de l'histoire égyptienne, et que, par conséquent, elles ont le droit de porter le nom de préhistoriques, comme celles qui se trouvent dans les mêmes conditions en Europe. On a voulu les rattacher à la IVe dynastie. Il n'y a aucune raison qui puisse justifier cette affirmation basée sur les fouilles faites à Nagada, qui ont mis à jour des quantités de pièces de différentes époques, la même -nécropole ayant dû servir pendant un grand nombre de siècles à une multitude de couches humaines se succédant les unes aux autres.

Le mode de sépulture dans des tombes secondaires, le dessèchement et non l'embaumement au bitume des cadavres, la position toujours couchée soir le côté gauche, les jambes repliées, les vêtements mortuaires en peaux de gazelle, tout cela prouve avec évidence que nous avons affaire ici à une race humaine très ancienne, la plus ancienne connue jusqu'à présent, séjournant dans le pays bien antérieurement à celle qui a élevé les admirables édifices de la haute vallée égyptienne. Gela ne veut pas dire que, dans certains cas, on n'ait point trouvé des pièces pouvant induire en erreur un observateur peu exercé. Il a dû forcément y avoir, dans ces, nécropoles archaïques, des tombes relativement bien plus récentes les unes que les autres ; il est-tout à fait impossible que les choses se passent autrement, car on ne peut raisonnablement admettre que tous les occupants des nombreuses tombes de Khozam et de Rôda soient morts la même année pour occuper leurs demeures funéraires. Mais ces quelques exceptions que je signale ici et qui, probablement, sont peu nombreuses, n'infirment point la règle qui est basée sur un si grand nombre d'observations et sur des fouilles opérées avec suite sur plusieurs centaines de tombes.

Les tombes de Khozam et de Rôda sont toutes des tombes secondaires, le corps du mort ayant été livré à la décomposition ailleurs. Si cette coutume n'avait pas été très ancienne et si on en avait conservé la souvenance au temps d'Hérodote, cet historien si exact à raconter ce qu'il entendait dire, et qui paraît avoir séjourné longtemps à Thèbes, très près de ces nécropoles archaïques, eût certainement fait mention de cette singulière coutume, lui qui a décrit avec tant de détails la même opération exécutée par les embaumeurs, ainsi que le manuel opératoire employé à cette époque pour préparer les morts, convenablement momifiés, à entrer dans les différentes nécropoles thébaines.

Le Dr Fouquet a constaté, dans les tombes de Négadah, la présence de masses de bitume ou de résine, destinées à préserver de la putréfaction la cavité crânienne. Ces substances n'ont pu être placées dans cette cavité que par le canal nasal plus ou moins fracturé, soit par le trou occipital après décapitation. Ces substances bitumineuses ou résineuses ne se rencontrent jamais dans les crânes de Rodâ. Les têtes des squelettes m'ont toujours paru être séparées naturellement de la colonne vertébrale, nous n'avons pas découvert des traces de sections, soit sur les condyles de l'occipital, soit sur l'atlas ou l'axis.

M. Widmanm avait déjà signalé qu'à Négadah « le défunt, immédiatement après sa mort, était enterré dans sa maison ou tout auprès, c'est-à-dire dans les terrains cultivés. Le corps une fois décomposé, on aurait retiré les ossements pour tes nettoyer, les transporter à la nécropole et les déposer dans la tombe définitive ». D'après mes observations, à Khozam et à Rôda, il n'y a pas eu de décapitation, pas de dépècement du cadavre, pas même de grattage des os, encore moins d'anthropophagie, comme cela a été dit, mais tout simplement cueillette des ossements plus ou moins complets, lorsque le cadavre était décomposé.

Peut-être le corps, comme nous l'avons déjà dit, était-il placé sur un bûcher funéraire non allumé, exposé à l'air, aux oiseaux de proie, aux animaux carnassiers, ou bien enseveli provisoirement dans son champ ou dans un trou creusé dans le seul de sa hutte. Cette hypothèse est encore corroborée par le fait que nous avons déjà signalé plus haut : la présence constante de vases cylindriques remplis volontairement d'une terre provenant d'un champ cultivé, et non avec du sable, qui servait toujours à combler la tombe définitive ; d'après l'examen attentif, il résulte que cette terre a été versée dans ces vases à l'état semi-liquide, ou du moins fortement humectée. A la base de ce culot de terre, remplissant presque entièrement le vase, on constate la présence de certains ruissellements vermiculaires qui indiquent une pareille consistance au moment du remplissage. D'après le professeur Schweinfurth, cette terre provient du terrain nilotique, sablonneux, tel qu'on le trouve au moment de l'étiage, et sur lequel les indigènes sèment actuellement des melons et des concombres. Cette terre renfermée, dans les vases ne montre aucun débris végétal, tels que des fragments de paille ou des glumes de graminées qui se conservent presque indéfiniment. Il n'y a non plus aucune trace de matière animale, les analyses chimiques faites par M. Hugounenq, Professeur à la Faculté de médecine de Lyon, le prouvent avec évidence. La terre -de ces vases n'a donc pas été mêlée aux reliefs d'un repas funéraire, et ces récipients ne sont point, comme nous l'avions pensé d'abord, les ancêtres des canopes, renfermant des fragments des organes thoraciques ou abdominaux, des morts.

Comment donc, expliquer le rôle symbolique rempli par la terre arable, impure, contenue dans les vases cylindriques ? Ici, nous en sommes évidemment réduits, aux hypothèses. Nous pensons, avec M. le professeur Schweinfurth, que cette terre arable représente la propriété rurale, du défunt, dont il fallait conserver, une parcelle rappelant encore le, champ qu'il devait cultiver dan© la vie future. Peut-être aussi cette terre devait-elle figurer dans l'autre, vie le sol que le défunt avait foulé dans sa cabane. Quelle que soit, l'explication que l'on puisse en donner, la présence de cette terre dans les vases cylindriques est extrêmement intéressante et, d'après M. Schweinfurth, elle serait peut-être l'analogue de ces champs d'orge minuscules semés sur des nattes et ayant poussé de plusieurs centimètres, dans certaines tombes royales de Thèbes, et rappelant probablement le symbole de l'immortalité et de la résurrection. Peut-être lia terre de nos vases est-elle destinée à faire naître des idées analogues par rapport à la force génératrice innée de la terre.

Il reste encore un point intéressant à élucider, d'après les données qui nous sont fournie par l'examen comparé des crânes des anciens Coptes et ceux de la nécropole archaïque de Rôda. Que peut-on dire aujourd'hui de cette race préhistorique ? Quelle est-elle ? Et quelles sont les affinités qui peuvent la réunir aux races actuellement vivantes dans les régions voisines ?

Pour nous, les crânes de Rôda et de Khozan, ressemblant si fort à ceux du cimetière copte d'Assouan, sont bien ceux de l'antique et vraie race égyptienne, peuplant la Haute Egypte depuis l'antiquité la plus lointaine et restée presque pure jusqu'à nos jours. Si cette ancienne race est si différente de celle dont on trouve les restes dans les nécropoles thébaines, c'est que ces dernières ont reçu surtout les momies des habitants de cette grande ville, très peuplée, où, depuis une époque reculée, arrivaient en grand nombre les habitants de la Basse-Egypte, ainsi qu'une foule d'artisans et de commerçants étrangers : Phéniciens, Syriens, Assyriens, Perses, Grecs, Romains, Bédouins, Bicharis, etc., y séjournant plus ou moins longtemps ou s'y fixant pour toujours. Tous ont dû laisser des traces profondes de leur passage, malgré l'assimilation que la race égyptienne pure semble avoir opérée très rapidement sur l'élément hétérogène avec lequel elle se trouve en contact. C'est donc cette trituration de races, ayant duré plusieurs milliers d'années, qui a différencié si fortement les crânes des momies que fournissent actuellement aux savants les différentes nécropoles de Thèbes. Nous connaissons aussi fort peu, justement à cause d'un mélange pareil, les caractères ethniques des habitants de la Basse-Egypte, bien plus mêlés encore depuis tant de siècles.

Pendant longtemps, nous avions pensé qu'il était possible d'admettre une influence des populations berbères sur celle de la vallée du Nil. Mais, à présent, nous avons rejeté cette supposition, qui nous paraît être contraire à la réalité des faits. D'abord, elle ne serait pas en harmonie avec la loi générale qui montre que la plupart des peuples ont toujours émigré de l'Est à l'Ouest. C'est certainement une des raisons, étayée par plusieurs considérations d'ordre botanique, qui fait que notre excellent et savant ami, le professeur Schwein-furth, comme aussi M. de Morgan, font arriver les Egyptiens anciens des régions asiatiques, à travers la mer Rouge. Il nous semble pourtant que c'est là encore une simple théorie basée sur les traditions hébraïques, et qui, aujourd'hui, ne saurait être prouvée, car personne, que je sache, n'a con¬ staté les liens anthropologiques qui pourraient unir la race égyptienne aux populations de la Mésopotamie ou de l'Arabie. La présence du figuier sycomore, arbre natif des Indes, ou de l'orge et du blé, venant des plaines du Tabor ou de la vallée du Jourdain, n'est pas chose suffisante pour faire croire à l'émigration des Egyptiens depuis les Indes jusqu'aux bords du Nil, car le superbe figuier sycomore, ainsi que les graminées nutritives ont bien pu être apportés par d'autres moyens que par l'exode de toute une race.

Il n'est pas plus rationnel d'admettre l'arrivée des populations du Niger, par le Sud-Ouest, à travers les affreux déserts du Tibesti, du Kordofan et autres, semés de quelques rares oasis, par lesquels peuvent seuls passer les plus endurcis des voyageurs modernes. Les populations berbères, pas plus que celles de la vallée du Niger, ne ressemblent aux hommes de Khozam ou de Rôda, et les langues dont ils se servent, ce qui a bien une certaine importance, ne ressemblent en rien à celle employée par la vieille race égyptienne.

D'après Diodore, les Lybiens et les Ethiopiens ont pu jouer un grand rôle dans la formation du (peuple égyptien. Les races de la grande boucle du Nil, appelée presqu'île de Meroë, étaient bien plus rapprochées de l'Egypte que les Négroïdes, vivant bien plus au Sud. Mais, à cet égard, on ne peut rien affirmer de certain, car cette partie de la Nubie, qui renferme encore tant de monuments étranges et non encore étudiés sérieusement, n'a jamais été explorée au point de vue anthropologique. Actuellement, pensons-nous, toute étude sur ce sujet est presque impossible, la presqu'île de Meroë a été si souvent ravagée par des soldatesques effrénées que les populations autochtones pourraient bien être entièrement détruites, ou le peu qu'il en reste entièrement dénaturé par les flots envahisseurs venus du Sud ou du Nord.

Il est évident que, dans une vallée aussi étroite que celle du Nil, peuplée d'un nombre très restreint d'habitants, l'influence du sang venu du dehors a dû être considérable, plus peut-être que partout ailleurs. Jadis, au moment de sa plus grande prospérité, il y avait, au dire des historiens, 7 millions d'habitants. A l'époque de Jules César, lorsqu'écrivait Diodore, ce nombre était descendu à 3 millions et, en 1860, la population atteignait à peine 2 millions. Dans des conditions pareilles, on comprend l'effet du métissage incessant qui se produisait partout, soit à la suite de nombreuses armées envahissantes, soit par l'introduction répétée de femmes circassiennes ou de négresses amenées chaque année en troupeaux considérables. Les Grecs surtout, bien avant l'arrivée d'Alexandre, ont certainement joué le plus grand rôle dans une invasion pacifique qui se continue sans arrêt depuis une époque très reculée. Actuellement, la même activité coloniale se poursuit avec une intensité tous les jours croissante, et partout, jusque dans les régions tropicales do l'Afrique, à Khartoum et ailleurs, les Grecs se répandent de plus en plus comme colons de premier ordre. Dans les villages les plus éloignés, il y a toujours un barkal, c'est-à-dire un épicier, de nationalité grecque, prêt à vendre les denrées européennes et à exporter les produits de l'Afrique.

Dans la Basse-Egypte, nous ne pouvons actuellement rien savoir de précis sur les nécropoles archaïques des anciens habitants du pays, ni sur les caractères de leur crâne. Toutes les traces en sont cachées profondément, enfouies à une grande profondeur, peut-être à 20 ou 30 mètres, sous les dépôts que le Nil répand depuis des milliers d'aimées sur les plaines du Delta. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à examiner l'emplacement de Memphis, à peu près disparu sous des masses énormes de limon, ou bien l'obélisque d'Héliopolis, dont la base repose dans un trou de plusieurs mètres de profondeur. En Basse-Egypte, où l'inondation se fait sentir partout et longtemps avec une intensité extrême, tout a été enseveli sous les couches de vase et, malheureusement aussi, tous les ossements des animaux et des hommes sont détruits par l'humidité, ainsi que nous avons pu le constater pendant les dernières fouilles exécutées à Héliopolis.

La, population copte d' Assouan paraît avoir conservé jusqu'à nos jours des caractères bien distinctifs, parce que, plus que toute autre, surtout par des motifs religieux, elle a été mise à l'abri des mélanges sans cesse renouvelés, dans le grand emporium que devait être la ville de Thèbes, où venaient se fixer quantité d'industriels de tous pays, tisserands et embaumeurs, sans compter les voyageurs venant des régions les plus éloignées du monde antique, attirés par les splendeurs des temples et des cérémonies religieuses.

Mais les habitants de Rôda, pas plus que ceux qui ont peuplé le cimetière copte d'Assouan, n'ont subi pareille influence, car Syène était une ville frontière, un poste stratégique qui ne retenait que fort peu les étrangers. Les habitants de cette petite bourgade ne semblent pas avoir subi une imprégnation sérieuse de la part de la race nubienne qui, du reste, n'a joué qu'un très petit rôle dans l'antiquité, car, anciennement comme aujourd'hui, la Nubie était réduite à une petite bande cultivable sur les deux rives du Nil coulant an milieu des déserts. Cette contrée n'a jamais pu nourrir une population importante.

Comme conclusion, nous croyons donc, jusqu'à plus ample informé, qu'on peut dire que les populations qui vécurent dans la région de Gébélein, Khozam, Rôda et bien plus -au nord sur les rives du Nil, de môme que les Coptes anciens du pays de Syène, représentent le type égyptien le plus pur des époques préhistoriques et historiques, tel qu'il était avant l'invasion d'une multitude mélangée de races différentes, remontant le Nil depuis la Basse-Egypte, entraînées vers ces régions du soleil par les armes, le commerça et la religion.

DISCUSSION

M. Chantre. — Je persiste à soutenir que la nécropole de Roda ne remonte pas au-dessus de la IVe dynastie. En 1890, la nécropole de Khozan m'a fourni plus de 200 crânes et j'en ai trouvé notamment de semblables à celui-ci. J'ai comparé Khozan et Négadah et, de même, je montrerai bientôt que la comparaison doit s'étendre aussi à Rôda. Je ne discute pas de la nature syphilitique des lésions du crâne présenté, je ne m'occupe que de la question d'ancienneté de cette pièce.

M. Lesbre — Des lésions syphilitiques peuvent-elles s'observer si nombreuses et si profondes avec une dentition aussi bien conservée ?

M. Lacassagne. — Les altérations des dents se trouvent dans la syphilis héréditaire, constituant en particulier ce que l'on appelle les dents d'Hutchinson. Si une personne de l'âge de la femme à laquelle ce crâne a appartenu prend la syphilis, elle peut très bien ne pas perdre sa dentition ; ce que l'on observe parfois sous le nom de gingivite expulsive est dû au traitement mercuriel.

Ce crâne a été présenté à de nombreuses autorités scientifiques ; les opinions ont été un peu divergentes : pour M. Poncet, ces lésions seraient de nature tuberculeuse ; pour d'autres, ce serait de la lèpre. Mais, à l'Académie de médecine, MM. Fournier, Bouchard et beaucoup d'autres ont nettement affirmé la syphilis.

Ce n'est d'ailleurs pas le premier cas où le diagnostic rétrospectif de vérole est fait sur des ossements, et de Virchow, Broca et J. Rodet ont été d'accord pour reconnaître cette affection sur les os de la femme de Solutré. A propos de cette discussion, je rappelle un fait que j'ai déjà cité, d'un turco que j'ai examiné à Constantine et qui s'était fait volontairement des blessures au crâne en se frappant avec une pierre ; mais, ici, un semblable diagnostic n'a même pas à être posé, et je ne rappelle ce fait que comme curiosité.

Pour ce qui concerne l'ancienneté de ce crâne, M. Lortet indique des caractères très curieux qu'il a relevés sur des momies dont il a fait une abondante cueillette à Rôda. C'est ainsi qu'elles présentaient une attitude fléchie rappelant les momies péruviennes. La position couchée sur le dos que l'on donne aux cadavres est assez récente et, pendant fort longtemps on les plaçait accroupis, position qui n'a pas été spéciale à l'Egypte, mais que l'on a retrouvée aussi au Pérou et dans plusieurs autres stations.

Enfin, M. Lortet a observé une série de caractères qui lui permettent de fixer, croit-il, l'âge de la nécropole de Roda, que M. Chantre n'a pas visitée.

M. Chantre. — Je me propose de revenir bientôt d'une façon plus précise sur la question. Mais, à propos du fait rapporté par M. Lacassagne de ce turco de Constantine, je rappelle qu'il existe encore des trépaneurs et Manouvrier a publié récemment un article à ce sujet. Dernièrement, j'ai examiné, dans les prisons de Tunisie, plusieurs individus portant des traces de trépanations semblables.

La discussion est close et la séance est levée à 6 h. 1/2.

L'un des Secrétaires des séances, A. Lacassagne,

 

 

 PALEOBIOS, 20 / 2018 / Lyon-France ISSN 0294-121 X / ISSN 2259-986X  Avancées  scientifiques modernes, à la lumière des données actuelles de la démarche diagnostique en paléopathologie, sur un crâne égyptien prédynastique de Rôda , conservé au Musée des Confluences de Lyon  (sous le numéro 30000368) et ayant fait l'objet d'une grave polémique entre Charles-Louis Lortet et Ernest Chantre au début du XX° siècle [Annie Perraud, Michel Billard, Roger Lichtenberg, Raoul Perrot, Cathy Vieillescazes]